Appel du pape à une “Eglise synodale” : quels enjeux ?


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Appel du pape à une “Eglise synodale” : quels enjeux ?
Par Christophe Herinckx
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
8 min

SynodeCe samedi 17 octobre, le synode des évêques, réhabilité par le pape Paul VI lors du concile Vatican II, célébrait ses 50 ans. A cette occasion, le pape François, entouré des évêques réunis à l'occasion de l'assemblée synodale actuelle, consacrée à la famille, a prononcé un discours que plusieurs participants, et certains observateurs, ont jugé historique, voire "révolutionnaire". Qu'a dit le pape François, et quelle est la portée de son intervention pour la vie de l'Eglise?

C'est au début de la dernière session du concile Vatican II, le 15 septembre 1965, dans son Motu Proprio Apostolica Sollicitudo, que Paul VI a réhabilité cette forme ancienne de concertation, tombée en désuétude pendant des siècles dans l'Eglise catholique, à mesure que se renforçait la centralisation de l'autorité apostolique du pape. Dans les Eglises orientales et protestantes, la synodalité a, par contre, été mise en valeur sans discontinuité.

Dans l'esprit de Paul VI et du dernier concile, le synode a été conçu comme une instance de consultation permanente, grâce à laquelle le pape, entouré des évêques - ou réciproquement: les évêques, en union avec le pape - exercent collégialement leur autorité apostolique sur l'Eglise universelle. Et ce, le plus souvent, depuis les 50 ans de sa re-création, en faisant avancer une thématique particulière, liée à la mission essentielle de l'Eglise.

Dans un discours fort applaudi, le pape François a exprimé sa conception du Synode, qui n'est pas différente de celle mise en lumière par le concile Vatican II, tout en livrant une réflexion de fond sur le ministère pétrinien, c'est-à-dire sur la fonction du pape au sein de l'Eglise.

D'après les propres mots du pape, "le synode (...) constitue un des legs les plus précieux" du Concile Vatican II. Selon lui, la synodalité répond à une véritable nécessité, car "le monde dans lequel nous vivons, et que nous sommes appelés à aimer et à servir même dans ses contradictions, exige de l’Eglise le renforcement des synergies dans tous les champs de sa mission." Par conséquent, c'est ce "chemin de la synodalité" que l’Eglise doit suivre en ce troisième millénaire.

Dans son discours, François a également rappelé les différents degrés de la réalité synodale. Tout part des baptisés qui composent le Peuple de Dieu, et qui disposent de ce que l'on appelle le sensus fidei, le "sens de la foi", grâce auquel il perçoit, en quelque sorte, là où agit l'Esprit dans la vie et l'enseignement de l'Eglise. "Chaque baptisé est un sujet actif d’évangélisation", a indiqué François. C’est pourquoi il a tenu à consulter tous les catholiques au sujet de la famille, objet de l'assemblée synodale en cours. "Comment aurait-il été possible de parler de la famille sans interpeller les familles, écoutant leurs joies et leurs espoirs, leurs douleurs et leurs angoisses?", a dit le Saint-Père. De par cette consultation, le Peuple de Dieu, en particulier les laïcs, dans leur situation concrète, faite de fidélité à l'Evangile, mais aussi de manquements et de blessures, ont réellement participé à la synodalité de l'Eglise.

Car "une Eglise synodale est une Eglise de l’écoute, de la conscience qu’écouter, c’est plus qu’entendre." Le synode est ainsi "le point de convergence de ce dynamisme d’écoute conduit à tous les niveaux de la vie de l’Eglise."

Ensuite, il y a le "niveau" des Eglises particulières au travers des synodes diocésains. Vient ensuite le niveau des provinces et des régions ecclésiastiques, un niveau "intermédiaire" crucial car "il n’est pas opportun que le pape se substitue aux épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques présentes sur leur territoire." Rappelant ainsi un principe ecclésial important, à savoir la subsidiarité, le pape a affirmé qu'il faut, aujourd'hui, décentraliser les problèmes et les solutions pouvant différer d’une région ou d’un pays à un autre. Le dernier niveau de synodalité est, bien sûr, celui de l’Eglise universelle.

La synodalité aboutit ainsi au niveau du pape, "appelé à se prononcer comme pasteur et docteur de tous les chrétiens", "non à partir de ses propres convictions mais comme témoin suprême" de la foi apostolique reçue des apôtres, et vécue par le Peuple de Dieu dans son ensemble.

Ces différents éléments ont amené le pape François à aborder un point crucial, celui de la manière dont le pape exerce son ministère au sein de l’Eglise, sorte de "pyramide renversée où le sommet se trouve sous la base." Par ces mots, François a souligné que, dans l'Eglise, "l’unique autorité est l’autorité du service, l’unique pouvoir est le pouvoir de la croix." Finalement, le souverain pontife a évoqué "la nécessité et l’urgence de penser à une conversion de la papauté", expliquant que le pape n’est pas au-dessus de l’Eglise, mais à l’intérieur, en tant que premier serviteur.

Vers une catholicité plus authentique

Historique, ce discours du pape l'est certainement. Indépendamment des prochaines conclusions, et décisions éventuelles, qui seront prises à la suite du synode actuel sur la famille, l'on peut dire que ce synode est d'ores et déjà un succès, de par la portée de cette intervention du pape François. Et ce, même s'il n'a pas évoqué directement le thème de la famille qui occupent les travaux des pères synodaux. Le discours du pape n'en influencera pas moins les résultats car, en se positionnant sur le caractère essentiellement synodal de l'Eglise et de son fonctionnement, le pape indique que toute question abordée par l'Eglise, que ce soit au niveau universel ou local, se doit de suivre une logique synodale.

Ce discours est-il, pour autant, révolutionnaire? Certainement pas. Le penser, en positif comme on pourrait le supposer dans le chef des "réformistes", ou en négatif dans l'esprit des "conservateurs", serait une erreur qui traduirait, en deux sens opposés, une mécompréhension de ce que sont la primauté et la collégialité, et la synodalité, dans l'Eglise catholique.

Au Concile Vatican I, en 1870 et 1871, les évêques et le pape adoptèrent le dogme de l'infaillibilité pontificale, et réaffirmèrent sa primauté à l'égard des autres évêques. Pour des raisons politiques et militaires extérieures au concile, celui-ci fut interrompu avant que les pères conciliaires purent aborder le thème de la collégialité de l'autorité des évêques, en union avec le pape. Vatican I s'acheva ainsi sur un déséquilibre, qui aboutit à une centralisation maximale de l'autorité dans l'Eglise: le pape apparaissait comme le seul détenteur de l'autorité, les évêques n'étant pour ainsi dire que ses "lieutenants", tenus, et autorisés seulement, à appliquer les décisions du pape, en matière doctrinale, pastorale ou disciplinaire. Bref, la primauté du pape tendait à prendre un caractère absolu.

Le concile Vatican II rééquilibra ce qui peut être considéré comme une dérive certaine, en parachevant les travaux de Vatican I sur l'autorité dans l'Eglise, et en réaffirmant le principe de la collégialité, réellement vécu dans les premiers siècles de l'Eglise, puis tour à tour affaibli ou exagéré au cours de l'histoire de l'Eglise. Vatican II, en gros, affirma que l'autorité doctrinale, dans l'Eglise, s'exerce par les évêques en union avec le pape, l'évêque de Rome, qui est primus inter pares, le "premier parmi ses semblables". Autrement dit: pas de décision touchant à la foi de l'Eglise, ou à sa vie de foi, prise par les évêques, ou des évêques, sans la confirmation du pape, mais pas, non plus, de décision du pape prise indépendamment du collège épiscopal universel. Même en cas d'exercice de l'infaillibilité pontificale, celle-ci ne peut être comprise comme indépendante de l'autorité des autres évêques. Ce principe de collégialité permet l'unité dans la diversité, la diversité dans l'unité - celle-ci étant en quelque sorte garantie par la mission du pape dans l'Eglise.

La réaffirmation de la collégialité entraîna les remous que l'on connaît, certains estimant, à tort, que l'on allait à l'encontre de la foi catholique. Comme si, depuis deux mille ans, le pape avait toujours tout décidé tout seul, ce qui est historiquement totalement erroné. Les tensions aboutirent au schisme intégriste, en 1988. Mais, par ailleurs, les bouleversements de la culture moderne, en particulier la "révolution" de mai '68, suscitèrent des craintes au plus haut niveau du pouvoir dans l'Eglise: la crainte que la diversité rompe l'unité de la foi, au vu de certaines dérives du monde moderne. En conséquence, la tendance, après le concile, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, de limiter l'exercice de la collégialité, et partant de la synodalité, autant que possible. D'où un nouvel élan de centralisation qui se manifesta entre les années 1968 et... 2013.

Depuis l'avènement du pape François, un nouveau "rééquilibrage" est en cours, qui est apparu, de manière particulièrement claire, lors du synode de la famille en 2014 et, plus encore, dans le processus de réflexion et de consultation qui s'en est suivi. le discours du pape François, prononcé samedi dernier, marque sans doute un nouveau tournant dans ce processus. Non seulement la collégialité est réaffirmée par le pape, mais celui-ci veut en prendre toute la mesure, qui doit aboutir, nécessairement, à une réflexion fondamentale sur la façon dont la primauté pontificale doit être comprise en rapport à cette collégialité.

Mais, sans être révolutionnaire, l'affirmation de la synodalité de toute l'Eglise va plus loin: elle prend en compte la participation de tous les fidèles aux processus de décision dans l'Eglise. Cette participation n'entraîne pas, de soi, un affaiblissement du rôle et de la mission des évêques et du pape dans l'Eglise, même si la prise en compte de cet "élément" amènera sans doute d'âpres débats sur la place à lui donner dans la vie de l'Eglise. Un nouveau rééquilibrage en sera sans doute la conséquence. Cette réalité pourrait en effrayer certains, ou en réjouir d'autres, de manière indue... Mais, comme l'a rappelé le pape au début du synode actuel: tous, pasteurs comme "simples" fidèles, devons nous mettre à l'écoute de l'Esprit. Rappelons-nous aussi que, depuis sa naissance, l'Eglise est dans un processus continuel de recherche d'équilibre, entre différents aspects de sa foi, de sa vie, de sa discipline, qui peuvent sembler se contredire. Mais la vérité est dans l'équilibre de ces différents aspects, comme, par exemple, et justement, la vérité et la miséricorde. Absolutiser certains aspects, au détriment d'autres, est le propre de l'hérésie. La prise en compte des tensions fécondes, dans l'unité et la diversité, est le propre de la catholicité.

C.H. (avec Radio Vatican)

Catégorie : Eglise Belgique

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