Qu’ils soient un, comme nous-mêmes
En ce temps-là, les yeux levés au ciel, Jésus priait ainsi: "Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné.
J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Ecriture soit accomplie.
Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi je n’appartiens pas au monde.
Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais. Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi, je n’appartiens pas au monde.
Sanctifie-les dans la vérité: ta parole est vérité.
De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité." Textes liturgiques © AELF, Paris.
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Heureusement, nous ne sommes pas Grecs! Mais rien à voir avec l'actualité! Comprenez-moi bien... Heureusement, notre compréhension chrétienne de Dieu n'est pas celle de la mythologie grecque...
Dans la mythologie grecque antique, je ne vous apprendrai sans doute rien, les dieux surveillaient le monde du sommet de l'Olympe; ils jugeaient les humains sur leurs faits et gestes... Et si les dieux n'étaient pas satisfaits, ils descendaient sur terre, selon leur bon vouloir, pour punir les hommes. Les dieux des mythes grecs étaient totalement imprévisibles... Et cette imprévisibilité était source de peur, de frayeur chez les humains... Dans les mythes, le mouvement de descente, conduit à l'imprévisible, il crée la peur, la confusion...
Le frère Dominique, en ce jeudi de l'Ascension, a éteint le cierge pascal comme cela se faisait dans l'ancienne liturgie. Il l'a éteint pour signifier que le temps dans lequel nous sommes entrés est le temps d'une présence nouvelle, le temps d'une présence non sous le mode de l'immédiateté, mais sous un mode radicalement nouveau. Nous sommes dans le temps - non de la descente de dieux imprévisibles - mais de la montée du dieu invisible, de la présence au-delà de l'absence.
Notre Dieu est monté aux cieux et c'est en réalité son effacement à nos regards, son invisibilité qui nous ouvre à l'amour et l'espérance.
La première lettre de Saint Jean culmine en effet avec cet extraordinaire phrase: «Dieu, personne ne l'a jamais vu». Voilà une phrase-clé, qui rend le Christianisme crédible puisqu'il vient déminer tous nos fanatismes potentiels. Dieu n'est ni un argument ni une preuve qui s'imposerait à tous.
Voilà un paradoxe de notre foi qui veut que c'est désormais l'absence, le retrait qui rend Dieu crédible. La tradition juive appellera cela le Tsimtsum, le retrait volontaire de Dieu afin de laisser exister ses créatures. Grégoire de Nysse, au quatrième siècle, écrira «La vraie présence de Dieu à notre liberté est d'être là, sans être là!» C'est cette absence qui nous offre la liberté. Voilà une dynamique qui n'est vraiment «pas de ce monde», pas de notre culture, où, pour exister, il faut avant tout être visible. Dans notre culture saturée d'images, dans notre monde où seul compte le fait d'être présent sur le marché, Dieu se fait présence réelle par un discret «lâcher prise», par une douce absence, par son retrait et sa discrétion.
Oui «Dieu, personne ne l'a jamais vu», mais nous ne sommes pas orphelins.
Par son effacement à nos regards, Dieu se rend présent; il vient habiter au plus intime de chacun de nous pour devenir ainsi la lampe de notre sanctuaire intérieur. Désormais, la présence de Dieu sera toujours médiate. «Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous sa perfection», nous rappelle Saint Jean. Voilà le retrait de Dieu qui, loin d'une inexistence, devient présence réelle en chaque visage humain. Cette absence de Dieu nous inaugure, elle nous crée.
Si Dieu n'intervient pas dans notre monde, il ne cesse pas d'être concerné.
Si Dieu semble s'effacer à nos regards, c'est pour que nos visages soient autant de facettes de Dieu. Il ne s'agit pas d'une démission de Dieu, mais d'une mission divine confiée à l'homme.
«De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.»
Et si nous sommes créés à l'image de Dieu, ce retrait de Dieu nous invite à notre tour, dans nos relations, à un doux lâcher prise...
Lâcher prise, ce n'est pas toujours vouloir arranger les choses, mais offrir un soutien...
Lâcher prise dans notre vie, ce n'est pas juger mais permettre à l'autre d'être lui-même
Lâcher prise, ce n'est pas trouver des solutions mais offrir des options
Lâcher prise ce n'est pas regretter le passé mais grandir et vivre pour le futur
Oui, cette invisibilité de Dieu nous offre l'écart nécessaire pour notre liberté.
Un espace entre «souvenir» et «survenir» car si un Dieu trop présent dans notre vie,
ne pourrait survenir.
Puissions nous en ce temps d'effusion de l'esprit, découvrir cette présence divine et discrète au-delà des apparences, pour passer d'un imprévisible qui conduit à la peur, à un invisible, qui nous ouvre à la confiance, et nous fait découvrir chaque jour que celui qui aime en vérité demeure en Dieu.
Didier Croonenberghs o.p.