
Conférence épiscopale de Belgique : Mgr Jean Kockerols, Mgr Pierre Warin, Mgr Jean-Luc Hudsyn, Mgr Jean-Pierre Delville, Mgr Leo Lemmens,
Mgr Johan Bonny, Mgr Patrick Hoogmartens, Mgr Guy Harpigny, Mgr André-Joseph Léonard, Mgr Luc Van Looy, Mgr Rémy Vancottem, Mgr Jozef De Kesel.
Dans une déclaration publiée le lundi 2 mars dans les journaux La Libre et De Standaard, les évêques de Belgique réaffirment la dignité de la personne humaine, même démente.
Rappelant d’emblée que le vieillissement croissant de la population constitue un défi majeur pour notre société, les membres de la conférence épiscopale soulignent qu’il va de pair avec une augmentation des cas de démence. « La société investit, de longue date et largement, en faveur des personnes âgées, voire très âgées, des personnes souffrant d’un handicap mental profond ou gravement perturbées, des patients comateux et des malades en phase terminale », stipule la déclaration des évêques qui tiennent à exprimer leur reconnaissance vis-à-vis de tous ceux et celles qui sont engagés dans l’accompagnement de ces personnes fragiles.
Toutefois, les évêques belges disent leur crainte que « ce choix soit mis à rude épreuve en raison du climat d’euthanasie dans lequel nous baignons depuis 2002 et face au risque d’appliquer légalement l’euthanasie aux personnes démentes ». Et d’ajouter : « Parce que les personnes concernées sont justement celles qui peuvent le moins faire entendre leur voix, nous jugeons, en tant qu’évêques, que c’est un impérieux devoir pour nous de faire entendre la nôtre en leur faveur. »
Les évêques estiment qu’un être humain, même atteint de démence, demeure une personne à part entière jusqu’à sa mort naturelle. « La dignité humaine ne peut dépendre de ce qu’on possède ou non certaines capacités. Elle est liée de manière inaliénable au simple fait d’appartenir à l’espèce humaine. Toute personne, même en état de démence, mérite donc le respect et doit recevoir en conséquence les soins appropriés ».
L’épiscopat de notre pays dit que l’autonomie est très importante dans notre société, mais il s’interroge pour savoir si certaines manières de la mettre en œuvre ne sont pas marquées par un individualisme excessif. Les évêques rappellent que chaque être humain vit dans un environnement social, culturel, historique et relationnel. « C’est pourquoi une autonomie en « relation » ou en « communion » rend beaucoup mieux compte de notre vraie identité et du fonctionnement effectif de notre liberté. De la naissance à la mort, nous dépendons les uns des autres. La tradition chrétienne exprime cela en considérant les êtres humains comme des frères et sœurs, reliés au même Père. Mais il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour comprendre combien nous avons besoin les uns des autres ».
« La dérive prédite en 2002 est devenue réalité »
Pour la conférence épiscopale, la notion de qualité de vie joue également un rôle important dans pas mal de décisions, mais le problème de ce second critère, ajoute-t-elle, est « la difficulté d’en donner une définition objective, si bien que les éléments subjectifs risquent toujours d’être prépondérants ». Et les évêques de Belgique de prévenir : « En ce qui concerne les personnes démentes, le risque est grand que des tiers projettent sur le patient leurs préoccupations et angoisses personnelles. La confrontation avec une personne démente doit d’abord susciter, auprès de tous, la responsabilité éthique d’en prendre soin. L’appel lancé par le prochain qui a besoin de soins renforce le fait que nous sommes ses frères et sœurs en humanité ».
Les membres de la conférence épiscopale rappellent que depuis la loi de 2002 sur l’euthanasie, un constat s’impose : « la dérive prédite à l’époque est devenue réalité ». Pour les évêques, les limites de la loi sont systématiquement contournées, voire transgressées. Ils jugent que « la souffrance existentielle, comme, par exemple, la fatigue de vivre, est ainsi placée sans hésitation dans le champ d’application de la loi sur l’euthanasie par des personnes ayant autorité dans la société – sans indice de désordre psychologique ou psychiatrique sous-jacent, ce qui d’ailleurs n’est pas de la compétence de la médecine. »
Concernant un nouvel élargissement de la loi afin de pouvoir procéder à l’euthanasie de personnes démentes, la déclaration de l’épiscopat met en garde : « On en viendrait ainsi, par exemple, à une déclaration anticipée stipulant que l’euthanasie est demandée dès lors qu’on ne reconnaîtrait plus les membres de sa propre famille. Alors qu’auparavant on argumentait à partir du critère de « souffrance intolérable », on va maintenant un cran plus loin. Lorsqu’on perd sa capacité cognitive, on perdrait aussi son identité individuelle. Selon cette logique, on devrait, dès ce moment, pouvoir mettre un terme à la vie de cette personne ».
La position des évêques est sans équivoque : « Nous nous opposons résolument à cette tendance. Une perte d’autonomie n’est pas pour nous synonyme de perte de dignité. Pareil raisonnement – nous y insistons – nous engage de manière encore plus périlleuse sur la pente entamée. Le danger n’est pas illusoire que l’on veuille réserver le concept de personne humaine – et les droits qui y sont afférents – à ceux qui sont capables de reconnaître pour et par eux-mêmes la valeur de leur propre vie. Ceux qui ne le peuvent pas, ou ne le peuvent plus, risquent d’être éliminés ou de se voir privés des soins nécessaires ». Et de préciser que , malgré les économies à réaliser en divers domaines, la société se doit de continuer à offrir, en fin de vie, des soins de haute qualité.
Mise en garde préventive
En conclusion, la déclararion stipule que le niveau moral d’une société se mesure au traitement qu’elle réserve aux plus faibles de ses membres. « Selon notre conception, jamais, dans une société authentiquement humaine, l’autre ne peut devenir une charge inutile. Et quand un frère ou une sœur en humanité réclame une attention et des soins redoublés, cette charge supplémentaire sera portée avec amour. Telle doit être la réponse. Une réponse qui témoigne d’une solidarité inconditionnelle. Ce n’est pas la porte de l’euthanasie qui doit s’ouvrir davantage, mais bien celle de la fraternité et de la solidarité ».
Si aucune proposition de loi précise n’a été déposée pour le moment, le sujet de l’euthanasie des personnes démentes pourrait revenir prochainement sur le devant de la scène politique. Sous la législature précédente, le sénateur Philippe Mahoux (PS) avait déposé une proposition visant à élargir l’actuelle loi sur l’euthanasie aux « personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative ou de toute autre affection cérébrale à un stade avancé et irréversible », ce qui ouvrirait la voie à une large augmentation du nombre de personnes susceptibles d’être euthanasiées. D’où la mise en garde préventive de l’Eglise de Belgique. Pour rappel en février 2014, la majorité des parlementaires avaient voté pour l’euthanasie des mineurs.
J.J.D.