Plus de 50 ans après l’affaire des missiles, le débarquement raté de la Baie des Cochons et l’embargo américain sur Cuba, un rapprochement entre Washington et La Havane vient d’être annoncé. Un événement historique, à mettre à l’actif de la diplomatie vaticane, discrète mais efficace.
Certes, tout n’est pas réglé et l’embargo qui frappe l’île depuis des décennies n’est pas encore levé. Mais, c’est un pas de géant qui vient d’être fait: le président américain Barack Obama et son homologue cubain Raul Castro ont annoncé conjointement que les relations diplomatiques, aériennes et commerciales sont rétablies entre les deux pays. Une annonce qui intervient dans la foulée de la libération d’Alan Gross, un ressortissant américain emprisonné depuis cinq ans à Cuba pour espionnage et échangé contre trois détenus cubains, prisonniers aux Etats-Unis.
Dans la foulée, des prisonniers seront échangés et les Etats-Unis admettent officiellement l’échec du blocus contre Cuba, instauré entre 1960 et 1962, destiné à abattre le régime communiste de l’île, instauré par le « leader maximo », Fidel Castro. Toujours en vie, mais très affaibli par la maladie et disparu de la vie publique depuis de très nombreux mois, ce dernier avait transmis son pouvoir à son frère Raul, qui d’emblée avait donné des signes d’ouverture dans un pays où la pauvreté reste importante.
L’inefficacité de l’embargo
Force a été de constater que l’embargo américain sur Cuba n’a pas été très efficace en un demi-siècle, si ce n’est d’avoir pour conséquence d’appauvrir la population. A l’époque, l’objectif de l’administration Kennedy avait espéré que la population se retournerait contre ses dirigeants. C’était sans compter sur le régime de poigne mis en place par Fidel Castro. Bref, comme dans d’autres pays frappés, encore aujourd’hui, par des embargos économiques, lesquels sont systématiquement détournés et pénalisent les populations tout en échouant à renverser les régimes. En un mo: ils semblent être inefficaces!
Mais si c’est le cas, on doit se réjouir du fait que la diplomatie vaticane, en revanche, brille une nouvelle fois par son succès. L’Église a eu un rôle discret mais décisif dans la détente entre Washington et La Havane. Le pape François a accueilli au Vatican les délégations américaine et cubaine, et a appuyé les négociations. Mais tout a commencé par le travail discret de l’Eglise pour permettre un assouplissement du régime castriste. Régime officiellement sans religion et même anti-religion, Cuba a mué vers un état laïc en 1992. Un changement peu visible, mais significatif.
L’action des papes
En 1998, le pape Saint Jean-Paul II est reçu à Cuba, une visite lourde de symboles. Lors de la messe finale, Place de la Révolution, à La Havane, le pape déclare en présence de Fidel Castro qu’un état ne peut pas avoir l’athéisme comme fondement politique et que son devoir est d’adopter une législation permettant à chaque confession et à chaque personne de vivre librement sa foi. Un discours on ne peut plus clair. Pragmatique et doué d’un sens diplomatique aigu, Jean-Paul II Dénonce dans la même homélie, le « néo-libéralisme capitaliste, qui asservit la personne humaine et conditionne le développement des peuples aux forces aveugles du marché ». Défense de la liberté de conscience et rejet du matérialisme, communiste comme capitaliste: la doctrine sociale de l’Église est résumée en peu de mots. Jean-Paul II qualifie également l’embargo sur Cuba de « moralement inacceptable ». François ne dit rien d’autre aujourd’hui.
En 2012, Benoît XVI visite Cuba et plaide sans ambiguïté pour un changement politique. A son tour, il dénonce le blocus américain qui, dit-il, « pèse injustement sur le peuple ». Les deux papes, dans le cadre de leurs visites, obtiennent des Etats-Unis des levées partielles de l’embargo: octroi de permis d’exportation de médicaments, reprises de certains vols, autorisation aux Cubains réfugiés en Floride d’envoyer des fonds à leurs familles restées sur l’île. A Cuba, le vendredi saint est déclaré jour férié et l’annonce de la construction d’une nouvelle église, la première depuis 1955, fait grand bruit. Autre signe de détente: en 2013, en marge de l’hommage officiel à Nelson Mandela à Soweto en Afrique du Sud, le président Barack Obama serre la main de son homologue cubain Raul Castro.
François se réjouit
Depuis, de façon discrète, le Pape François n’a fait que poursuivre les efforts de ses prédécesseurs en faveur d’une remise en cause du blocus de Cuba. Pas question de faire tomber le régime cubain, mais bien d’en accélérer l’ouverture. Un régime qui vit d’ailleurs ces derniers soubresauts, comme en témoignent ceux qui ont récemment visité l’île. Un des moyens de prolonger leur survie est, pour les dirigeants de La Havane, d’accorder une place à l’Eglise dans la société cubaine. Une Eglise qui est à la fois une force d’opposition mais aussi un appui pour la transition. Grâce à cette nouvelle donne, les évêques cubains obtiennent chaque année davantage de libérations de prisonniers politiques. L’Eglise catholique est bel et bien redevenue une force morale dans le pays… qui entre dans la stratégie du gouvernement afin de pallier à la démoralisation générale, tout en continuant à la contrôler. Le danger pour l’Eglise cubaine est de se faire « récupérer » politiquement !
Ce rapprochement historique n’aurait donc pas été possible sans le pape François, comme le prouve les remerciements chaleureux prononcés par le président Obama à l’égard du rôle « crucial » dans cette affaire du Saint-Père. Le Saint-Siège a d’ailleurs aussitôt salué cette « décision historique » dans un communiqué publié par la Secrétairie d’Etat : « Le Saint-Père désire exprimer sa grande satisfaction suite à la décision historique prise par les gouvernements des Etats-Unis d’Amérique et de Cuba de rétablir leurs relations diplomatiques, avec pour objectif de surmonter, dans l’intérêt de leurs concitoyens, les difficultés qui ont jalonné leur histoire récente.
Au cours de ces derniers mois, le Pape François a écrit au président de la République de Cuba, Son Excellence, Monsieur Raul Castro, et au président des Etats-Unis d’Amérique, l’Honorable Monsieur Barack Obama, afin de les inviter à résoudre des questions humanitaires d’intérêt commun, parmi lesquelles, celle concernant la situation de quelques détenus, dans le but de lancer une nouvelle phase dans les rapports entre les deux Etats.
Le Saint-Siège en recevant au cours du mois d’octobre, les délégations de deux pays, a offert ses bons services pour favoriser un dialogue constructif sur les thèmes délicats, parvenant à obtenir des résultats satisfaisant les deux parties.
Le Saint-Siège continuera à assurer de son soutien les initiatives que les deux nations entreprendront dans le but de renforcer les relations bilatérales, et promouvoir le bien-être de leurs citoyens respectifs ».
Dans l’immédiat, cet événement historique fait beaucoup d’heureux, et quelques mécontents, à commencer par les républicains américains, qui dénoncent le régime cubain depuis la Guerre froide. Barack Obama devra d’ailleurs en tenir compte dans les négociations pour la levée de l’embargo, puisque ces mêmes républicains sont majoritaires au Congrès.
J.J.D