Le 25 septembre 2014, le calendrier luni-solaire hébraïque atteindra le premier jour du mois biblique de Tichri, celui où tombe la nouvelle année juive. Et l’ère de la Création marquera ainsi le début de sa 5775e année. En d’autres mots, c’est alors que le monde juif effectuera son passage de seuil annuel.
Un franchissement d’un genre que toutes les civilisations redoutent. Car, minuit ayant sonné, nul ne sait au juste ce qui l’attend de l’autre côté de la ligne de démarcation. Et donc, à chacun de gérer, à sa façon, ce moment potentiellement menaçant. Beaucoup de cultures conjurent l’inquiétude diffuse de l’instant en s’étourdissant de danse, de musique, d’alcool et de bonne chère, tout en s’adressant des vœux ardents pour une année que l’on voudrait bonne puisqu’elle pourrait aussi se montrer très mauvaise.
Le judaïsme, cependant, envisage un peu autrement l’écoulement de son temps spécifique. La nouvelle année s’y trouve en effet célébrée, religieusement ou non, dans une austérité de bon aloi, caractérisée par l’évaluation, en positif et en négatif, des actes dont les douze mois écoulés ont été jalonnés. Cela parce que la tradition juive estime que l’on ne saurait construire ou rebâtir sans avoir d’abord déblayé les scories qu’abandonnent derrière elles les activités humaines, toujours quelque peu approximatives.
Roch Hachana, littéralement la « Tête de l’année », ou Nouvelle Année, se caractérise donc par ce bilan censé conduire l’homme à la démarche appelée en hébreu la « techouva », le « retour » au sentier de rectitude. Concrètement, ce « retour » consiste à réparer efficacement les fautes variées que l’on pourrait avoir commises envers ses semblables.
A cet égard, dans une sorte de vision biblico-poétique des choses, la tradition juive considère qu’à Roch Hachana, le Grand Livre de la Vie se trouve déroulé devant le Créateur qui, siégeant au Trône de justice, passe en revue les faits et méfaits de l’humanité entière et juge qui demeurera inscrit au Registre et qui n’y sera plus. Sauf à être venu à résipiscence dans les dix jours qui aboutissent à Yom Kippour, le Jour du Pardon. Moment où, toujours selon cette vision du parcours humain, le sort de chacun sera scellé pour l’année déjà entamée.
Les pratiquants passent la journée entière de Kippour à la synagogue et observent un jeûne de vingt-quatre heures destiné à les libérer des contraintes prosaïques du quotidien et à favoriser le retour sur soi.
Les cinq offices successifs de ce jour comportent, outre les lectures circonstancielles de la Thora et des Prophètes, des prières particulières et la confession collective des manquements possibles, récités par l’officiant et les fidèles qui règlent ainsi la nécessaire remise en ordre avec eux-mêmes, dans le secret de leur conscience.
Après quoi, au soir, les participants quittent la synagogue raffermis par l’idée qu’à part de rares exceptions, nul ne tombe si bas qu’il ne puisse espérer se relever. Et qu’il est donné à tout homme de pouvoir continuer à donner du sens aux jours à vivre, que, malgré lui, il a reçu en héritage.
De quoi comprendre pourquoi Roch Hachana et Yom Kippour, fêtes inaugurales de l’année juive (**), sont à la fois empreintes d’austérité mais aussi de joie, ce sentiment que renferme toute saine espérance lorsqu’elle est issue d’une véritable reprise en mai de sa destinée.
Thomas Gergely (*)
(*) Professeur de l’ULB et Directeur de l’Institut d’Etudes du Judaïsme à l’ULB (**) L’émission Shema Israël, En quête de sens, concédée par la RTBF, abordera ces questions dimanche 28 septembre, à 8h50 sur la Une.