Le Père Gabriel Bunge, ancien moine de l’abbaye de Chevetogne, a rejoint l’Eglise orthodoxe il y a quelques années. Il juge que l’œcuménisme est surtout une "perte d’identité" des catholiques.
L'abbaye de Chevetogne est un monastère bénédictin situé dans la province de Namur. Le monastère a deux églises, l'une célébrant en rite latin et l'autre célébrant en rite byzantin, ce qui en a fait l’un des phares de la réconciliation entre l’Eglise d’Occident et celle d’Orient.
Le Père Gabriel a été moine durant plusieurs années à Chevetogne, avant d’être reçu dans l'Eglise orthodoxe russe en 2010. Il est aujourd’hui abbé du monastère de la Sainte Croix en Suisse.
Une amertume envers l’Eglise catholique
Historien de formation, le père Gabriel estime que la "sécularisation" représente un problème essentiel pour les Eglises occidentales. Mais son analyse se fait très critique envers son ancienne Eglise. Après y avoir cru dur comme fer durant plusieurs dizaines d’années, le père Gabriel attaque frontalement la vision catholique de l’œcuménisme.
Dans les années 60-70, il a été un observateur particulièrement attentif des rapprochements entre les deux "poumons" de l’Eglise. Commencée sous Jean XXIII, cette réconciliation a connu son point d’orgue avec la rencontre entre pape Paul VI et le Patriarche orthodoxe Athénagoras. "Paul VI voulait très fortement et profondément la réconciliation avec l'Eglise orthodoxe. Il était en fait l'incarnation de ce Janus de l'Eglise occidentale". Mais pour l’ancien moine de Chevetogne, les catholiques se sont trompés de voie: "l'Eglise catholique se trouve entre deux positions opposées: l'Est orthodoxe et l'Ouest protestant. Et l'évolution générale n'est pas allée vers l'est, mais vers l'ouest; cela devint une lente "auto-protestantisation" de l'Eglise romaine".
Les paroles livrées dans une interview à l’Eglise russe en Europe sont assez dures, mais traduisent une profonde amertume.
Quel but pour l’œcuménisme?
Les papes n’ont eu de cesse de le répéter: l’œcuménisme n’est pas juste un ensemble de réunions mondaines, mais un moyen pour mieux découvrir la vérité révélée par Dieu. Une affirmation qui est tout à fait partagée par le Père Gabriel… mais qui ne va pas assez loin pour lui.
Au risque de tomber dans la critique facile, Gabriel Bunge explique avoir pris conscience de la vacuité de l’œcuménisme par le comportement original de certains moines. "Les moines sont ceux qui pratiquent le yoga, le reiki etc. Quand on dit cela à des moines russes, ils sont choqués, ils ne peuvent imaginer qu'une telle chose puisse exister […] cela signifie que les gens ne cherchent pas une solution, une réponse, dans leur propre tradition. Ils cherchent en-dehors d'elle, dans des religions non-chrétiennes. Pour moi, des moines catholiques qui pratiquent la méditation Zen, c'est comme des moines Zen qui prieraient les stations de la Croix. C'est complètement absurde." Il n’explique pas si ces comportements ont eu lieu à Chevetogne ou ailleurs, mais on peut imaginer la stupeur de nos frères orthodoxes.
On a l’impression que le Père Gabriel "balance" sur l’Eglise catholique. Une réaction aigrie? Il confesse pourtant ne pas avoir trouvé une oreille favorable chez les orthodoxes.
"Mon expérience personnelle m'enseigne qu'on ne trouve pas toujours de l'aide du côté orthodoxe. Le prosélytisme n'est normalement pas orthodoxe et parfois vous ne recevrez aucune aide concrète. J'en ai même été découragé: quand j'étais un jeune étudiant, il y avait un théologien connu (que je ne nommerai pas) qui m'a littéralement interdit, ainsi qu'aux autres moines de Chevetogne, de devenir orthodoxes. Il a dit non! Vous ne devez pas devenir orthodoxes! Vous devez souffrir dans votre chair la tragédie de la séparation…"
On le voit, le chemin de réconciliation entre frères chrétiens d’Orient et d’Occident reste d’actualité. Mais cette controverse souligne également le fait que ce n’est pas au niveau des structures qu’il faut chercher une solution réelle. L’Eglise de Dieu est constituée d’hommes, c’est donc en unissant les fidèles de la base autour du Christ que l’on rencontrera les souhaits du Concile Vatican II: que tous les chrétiens se considèrent comme des "frères dans le Seigneur" (Décret sur l’œcuménisme, 1964).
M.B. (d'après www.egliserusse.eu)