La répression qui s'abat sur les Frères Musulmans a franchi un nouveau pas, avec la condamnation à mort de 529 de ses membres suite à une parodie de procès. Une sentence aussi radicale et démesurée peut-elle vraiment juguler le danger islamiste et assurer la réconciliation dans ce pays?
C'est un verdict sans précédent dans l’histoire judiciaire de l'Egypte et même du monde de ces dernières années. Les 23 et 24 mars derniers, un juge de Minya (250 km au sud du Caire) s'est prononcé sur le sort de 1.200 personnes accusées d’avoir participé, en août, à des violences ayant causé la mort d’un officier de police de la localité. La sentence laisse pantois: 529 condamnations à mort, et seulement 17 acquittements, à l'issue d'un procès, expéditif et hors normes puisque la plupart des accusés, en fuite, ont été jugés par contumace. Ou plutôt une parodie de procès puisque les accusés n’ont eu aucune chance de défendre leur cause et que les charges à l'encontre de chacun d'entre eux n'ont pas été clairement définies.
Une répression sans merci
Si ce verdict est susceptible d'appel et s'il est suspendu de surcroît à la décision du grand mufti, représentant de l’islam auprès de l’Etat, il a été néanmoins qualifié de "grotesque" par Amnesty International. Il illustre surtout, et clairement, la répression quasi aveugle menée par les autorités égyptiennes contre les Frères musulmans depuis l'été dernier et la chute du président Mohamed Morsi, destitué par un coup d'Etat le 3 juillet 2013. Cette formation politique, qui est avant tout une confrérie, forte de 3 millions de membres, très bien implantée dans le tissu social égyptien, était parvenue démocratiquement au pouvoir en juin 2012. Mais l'expérience fut de courte durée. En moins d'un an, les Frères Musulmans, qui ne pouvaient déjà pas compter sur le soutien de l'armée, de la police, de la justice, d’hommes d’affaires ou de la presse, ont déçu par leur sectarisme et leur incompétence, enterrant ainsi les espoirs du peuple nés après le "printemps égyptien" du 25 janvier.
Depuis le coup d'Etat, c'est donc une répression sans merci qui s'abat sur cette confrérie désormais classée comme une organisation"terroriste". Amnesty International avance le chiffre de 1.400 sympathisants islamistes et des dizaines de policiers et de civils tués. Mais une répression aussi sanglante ne risque-t-elle pas d'attiser encore plus la colère des islamistes?
L'appel de Didier Reynders
Face à la sentence rendue par le juge de Minya, l' Europe a fait part de sa vive préoccupation. Catherine Ashton, Haute Représentante pour la politique étrangère de l’Union européenne, a appelé les autorités égyptiennes à assurer le droit de tous les suspects à un procès équitable tel que défini par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l’Egypte est un Etat-partie. Un appel soutenu et relayé par le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders. Le vice-Premier ministre a rappelé que "La Belgique s’oppose à la peine de mort, dans tous les cas et dans toutes les circonstances", soulignant que "la peine capitale est une atteinte grave à la dignité humaine". "C’est pourquoi la Belgique, avec l’UE, a pour objectif l’abolition complète de la peine de mort dans le monde. L’établissement d’un moratoire sur les exécutions constitue une première étape vers une telle abolition. Notre pays appelle également à une réduction du nombre effectif d’exécutions dans les pays où la peine de mort est exécutée et insiste sur le fait que - si elle est exécutée - elle le soit dans le respect des normes internationales minimales existantes et avec un maximum de transparence", ajoute le communiqué publié par les Affaires étrangères.
Cet appel a-t-il des chances d'être entendu? On peut l'espérer car peu d'exécutions capitales ont en fait eu lieu en Egypte depuis de nombreuses années. Les experts judiciaires estiment que le verdict sera probablement annulé ou les peines commuées parce que le tribunal n’a respecté ni la procédure ni les droits les plus élémentaires de la défense. Mais l'impact qu'a suscité chez les islamistes cette décision en première instance risque d'être indélébile. Et le peuple égyptien risque d'en faire les frais.
Pierre GRANIER
P. Dominique Janthial: "Les espoirs de démocratie s'éloignent"
Curé de la paroisse saint-François à Louvain-la-Neuve, le père Dominique Janthial connaît bien l'Egypte où il s'est rendu plus d'une quarantaine de fois. Il nous fait part de son incrédulité par rapport à ce jugement mais reste néanmoins confiant pour l'avenir, à plus long terme, du pays, en raison notamment de sa jeunesse.