Le teint halé suite à un périple de plusieurs semaines sur les chemins de Compostelle, Christian Derycke nous reçoit chez lui. Le patron de la compagnie théâtrale patoisante mouscronnoise est fier de nous raconter sa dernière aventure vers Saint-Jacques. Même si, selon l’ancien instituteur, on ne peut pas raconter le Chemin de Compostelle… "Il faut le vivre!" Mais peut-être qu’en lisant ce témoignage, certains en ressentiront l’envie…
mcbf.be: Comment a germé en vous cette idée de faire le chemin de Compostelle?
Christian Derycke: Tout a commencé à l’approche de ma pré-retraite. Pas que je sois de ceux qui craignaient connaître l’ennui. Mon calendrier d’activités est bien chargé. Mais j’avais connu des moments de doutes et de questionnements suite à ma séparation et à mon divorce que j’avais provoqués et voulus. Je ne "refaisais" pas ma vie. On ne refait pas une vie, on la continue… autrement. De plus, le fait d’arrêter un métier que je pratiquais depuis 35 années créait en moi un sentiment de peur, ou de regret du temps qui semblait soudain avoir passé si vite.
mcbf.be: Ce sont donc ces événements qui ont fait que votre projet est devenu réalité…
CD: Oui… Je le considérais d’abord et avant tout comme un acte chrétien, poussé par ma foi. Mais aussi comme un retour sur moi-même, une occasion de faire le point. Je prenais aussi ce chemin comme un défi physique visant à me prouver qu’à plus de 55 ans, j’étais encore en bonne forme et capable d’aller jusqu’au bout de moi-même. C’est dans cet état d’esprit que le projet a mûri…
mcbf.be: Et vous avez pris le départ…
CD: Je sortais d’un week-end riche en émotions puisqu’avec la troupe, nous venions de remporter la finale de la coupe du Roi. Un trophée prestigieux récompensant la meilleure troupe dialectale de Wallonie. Du gîte rural où nous logions, j’ai quitté famille et amis pour débuter l’aventure. Le jour J, après une dernière bougie allumée en face de la statue de Saint Jacques dans la basilique de Vézelay, je prenais le départ… Sac sur le dos, bâton à la main, me laissant aller jusqu’au bas de la colline.
mcbf.be: Quelle partie du parcours vous a marqué?
CD: La portion de La Réole jusque La Fisterra fut riche en intensité, en rencontres, en sensations éprouvées… Même s’il a fallu attendre Saint Jean Pied de Port pour voir les premiers pèlerins dans les rues. Les coquilles fleurissaient de partout… A partir de ce moment-là, il fallut s’habituer à dormir, à manger, à marcher entourés de gens inconnus parlant anglais, allemand, italien, espagnol, polonais, portugais, coréen… A dormir avec les "roncadors", les ronfleurs! A se reposer dans les odeurs de vêtements imbibés de sueur… A être éveillés tous les matins à 6 h par le départ des plus matinaux. (…) A attendre pour utiliser la douche, les toilettes, la cuisine… J’avoue… Ce changement brutal me perturbait. Mais, il fallait passer par là. Car, je le comprendrais plus tard, c’est ça le "Camino"… Un monde en marche.
mcbf.be: On ne se lance pas dans un voyage de 1.800 km à pied comme on traverse la rue pour aller acheter le journal...
CD: Les motivations sont toutes différentes et ont toutes leur raison d’être… Pour certains, et c’était mon cas, il s’agit d’une décision de foi. Je souhaitais effectuer un vrai pèlerinage dont le but premier était de renforcer ma foi, de me resituer et aussi de mettre de l’ordre. Pour d’autres, c’est davantage un défi, une façon de prouver qu’on est encore capable. Mais, outre l’exploit physique, il y a toujours un côté "spirituel". La réflexion qu’apportent forcément la solitude et l’éloignement de ceux qu’on aime. Notre vie de tous les jours fait que nous sommes englués. Le chemin, c’est l’occasion de prendre un peu de hauteur, d’avoir une autre vue sur notre vie. Mais, quels que soient les motifs t’ayant poussé au départ, une fois que tu y es, tu es confronté à l’autre vie et tu ne peux en sortir indemne… Au fil des pas, au fil des jours, ce n’est plus toi qui prends le chemin, c’est le chemin qui te prend. C’est Saint Jacques qui te prend et qui te mène inexorablement vers Santiago…
TG
Lisez la suite dans le cahier paroissial "Pierres Vivantes" (Mouscron) encarté dans le journal Dimanche du 5 janvier 2014. Découvrez, ci-dessous, le témoignage complet.


