Quel impact ont les grands bouleversements politiques sur les minorités religieuses? Tel était le thème d’une conférence organisée hier par l’Institut royal des relations internationales et placée sous le haut-patronage du ministre des Affaires étrangères Didier Reynders.
L’Irak, les « printemps arabes », le Pakistan et d’autres pays encore, théâtres d’affrontements sectaires, ont fait resurgir aux yeux du monde la question des minorités religieuses. Vu de Belgique, on met surtout l’accent sur les minorités chrétiennes menacées de disparition au Proche et Moyen-Orient. Pourtant, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a bien indiqué, lors de cette conférence, que le plus grand nombre de violences interconfessionnelles se produisaient entre musulmans.
En fait, comme l’a indiqué l’anthropologue Farid El Asri, premier intervenant de cette conférence, il est clair que l’instabilité politique accélère la marginalité, quelle qu’elle soit. Faut-il alors recourir à des mesures pour protéger spécifiquement ces minorités en voie de disparition? A ce sujet, le professeur Louis-Léon Christians, spécialiste du droit des religions, a fait remarquer que vouloir protéger les minorités religieuses, c’est aussi les cibler et donc, paradoxalement, les mettre en danger! « De plus, il faut prendre garde à ne pas faire de discrimination entre ces minorités », a prévenu le professeur Christians.
Cercle vertueux
Autre difficulté selon lui: le principe de réciprocité: ‘je protège les minorités religieuses de mon pays si tu fais de même dans ton pays’. Il y a ici un risque de cercle vicieux qui doit donc être transformé en cercle vertueux. « Les Etats doivent réfléchir à cela, avec prudence et humilité. Est-ce qu’en Europe nous sommes en mesure de donner des leçons à l’étranger? », s’est interrogé le juriste qui a confirmé que le fait religieux avait incontestablement une nouvelle visibilité dans les politiques étrangères de nombreux Etats. Une visibilité se traduisant par exemple par la présence d’un conseiller aux affaires religieuses ou parfois même par l’institution de normes comme l’ont fait les Etats Unis avec l’International Religious Freedom Act.
Invité à cette conférence, au même titre que le rabbin Guigui ou le père Tommy Scholtes, l’Imam Semsettin Ugurlu (Exécutif des musulmans de Belgique) a quant à lui proposé de s’accorder sur la définition du mot minorité. « Ce qui est minorité ici est majorité ailleurs », a-t-il relevé, ajoutant « Notre monde est un village composé de minorités qui devront s’entendre. » Et de rappeler qu’il existe de nombreux exemples de vivre-ensemble entre religions monothéistes… L’Imam turc, citant notamment l’exemple du millet en vigueur sous l’empire ottoman jusqu’au début du XXe.
Oui à l’intégration, non à l’assimilation
De son côté, le rabbin Guigui pense que c’est plutôt de construire-ensemble dont le monde a besoin. Se félicitant que la liberté de culte soit inscrite dans la Constitution belge, il a aussi rappelé un principe fondamental pour les juifs, à savoir que « la loi du pays est la loi ». Même si parfois, des pratiques peuvent poser difficultés, comme l’abattage rituel. « Le juif est un citoyen à part entière mais porteur d’une sensibilité particulière. Donc oui à l’intégration, mais non à l’assimilation », s’est-il exclamé, déplorant au passage que le Conseil de l’Europe assimile la circoncision à l’excision. « Cette décision signe l’arrêt de mort de notre communauté. »
Quant au père Tommy Scholtes, peu importe qu’on soit majoritaire ou minoritaire. « Chacun a ses droits et l’essentiel est de promouvoir la justice et la paix », a expliqué le responsable du service de presse interdiocésain. « Le danger en revanche est de dire que la religion est une affaire privée. La religion c’est plus que le culte, plus qu’une transcendance, c’est aussi du lien social. Alors oui à la séparation de l’Eglise et de l’Etat mais cela ne doit pas empêcher que l’on puisse s’exprimer sur les questions qui touche au sens de la vie », a insisté le père jésuite.
Les périodes de transition ravivent les conflits religieux
Dans son allocution finale, Didier Reynders, a souligné la grande diversité des situations, et le fait que minorité n’était pas forcément synonyme d’opprimés. « En Syrie, elles étaient protégées », a fait valoir le ministre des Affaires Etrangères.
Faisant référence aux « Printemps arabes », fort différents les uns des autres, il a parlé de situations de transition qui prendraient du temps. Et comme toutes les transitions, celles-là ont ravivé les conflits religieux. « Un processus démocratique ne se limite pas au bon déroulement d’un scrutin. Pas simple de quitter un régime totalitaire pour un régime démocratique. Certains pays ont mis cent ans… », a rappelé le vice-Premier. « Le problème c’est que la victoire de l’islam politique a remis en question les acquis du passé », a-t-il poursuivi.
La solution pour venir à bout de ces tensions? « Séparer la religion et l’Etat afin d’éviter que la foi, qui relève du privé, ne soit politisée », a répondu M. Reynders. Bref, un modèle à la Belge? En répondant au père Scholtes (qui demandait ce qui manquait pour que le politique n’ait plus peur du religieux), le ministre a estimé que cette séparation était loin d’être faite chez nous…
Pierre GRANIER