L’élection du « modéré » Hassan Rohani à la présidence de la république islamique d’Iran est un signal envers les durs du régime et particulièrement à l’égard du Guide suprême l'ayatollah Ali Khameneï. Mais quelle est la marge de manœuvre du nouveau président ? Et surtout : s’agit-il d’un réel modéré ?
L’Iran est un pays mis au ban des autres nations, depuis l’élection à la présidence de la république de Mahmoud Ahmadinejad il y a huit ans. Durant ces deux législatures, le régime iranien s’est montré provocateur à l’égard de l’Occident mais aussi de l’ensemble des nations du monde. La rhétorique utilisée par le président sortant n’avait de cesse de provoquer.
Dans une élection en Iran, les dés sont pipés. C’est le conseil de la révolution qui accepte les candidatures à l’élection présidentielle. A cet égard, donc, le scrutin est contrôlé. Pourtant, un premier signe a eu lieu lorsque ce Conseil a refusé la candidature au scrutin du dauphin de Mahmoud Ahmadinejad. Signe que le président sortant n’était plus dans les grâces du pouvoir ? Peut-être. L’outrance de ce dernier a conduit l’Iran dans une impasse et entraîné le mécontentement grandissant de la population et particulièrement de la jeunesse. Finalement, dans les candidats « admis » à l’élection, Hassan Rohani apparaissait comme modéré, n’ayant pas les faveurs du guide suprême de la révolution. Son élection constitue donc une surprise, mais surtout un signal clair de la population iranienne à l’encontre du pouvoir théocratique de l'ayatollah Ali Khameneï.
Alors qu'il n'avait que peu de chances d'être en tête de la présidentielle, il a été élu avec 50,68% des voix dès le premier tour, bénéficiant de la division du camp conservateur et du retrait du seul autre candidat réformateur, Mohammad Reza Aref. Agé de 64 ans, Hassan Rohani, connu pour la très grande modération de son discours, est un proche de l'ex-président Rafsandjani, considéré lui aussi comme modéré. Ce dernier avait d’ailleurs appelé, tout comme son successeur le réformateur Mohammad Khatami, à voter pour lui. Cette "union sacrée" a mobilisé une grande partie de l'électorat modéré qui voulait boycotter le scrutin après la répression des manifestations ayant suivi la présidentielle de 2009.
Qui est le nouveau président ?
À 64 ans, Hassan Rohani est un religieux jugé modéré, issu du sérail de la révolution islamique, mais partisan d'une détente avec l'Occident. Ancien négociateur du dossier du nucléaire entre 2003 et 2005, il prône une politique de souplesse pour régler le différend qui oppose son pays à la communauté internationale. Alors qu'il dirigeait les discussions face aux Occidentaux, l'Iran avait accepté la suspension de son programme d'enrichissement d'uranium.
Après des études au séminaire religieux de Qom, Hassan Rohani participa dès le milieu des années 60 au combat contre le Shah, ce qui lui valut d'être emprisonné à plusieurs reprises. En 1977, il fuit à l'étranger, en France notamment, où il rejoignit le futur fondateur de la République islamique, l'ayatollah Khomeiny. Dès la révolution de 1979, il est l’un des piliers du nouveau régime. Il fut membre du Conseil des gardiens de la Révolution et dirigea le Conseil national de sécurité entre 1989 et 2005.
A la précédente élection présidentielle, Rohani a soutenu les manifestants qui protestaient contre la réélection truquée de Mahmoud Ahmadinejad. Proche de l’ancien président Rafsandjani, il n'est pas hostile à des contacts directs avec les États-Unis, pourtant ennemis « historiques » de l'Iran islamique. Il souhaite apaiser les relations avec le monde extérieur, afin de parvenir à une levée des sanctions internationales qui frappent l'économie de son pays, en raison du programme nucléaire iranien controversé. Il veut donner «une nouvelle voie» à l'Iran. Pourtant, le nouveau président n’est que le deuxième personnage de l'Etat, mais il le sait. Celui qui concentre le pouvoir c’est bel et bien le guide Ali Khameneï, beaucoup moins enclin à l'ouverture que lui. Selon la constitution de la république islamique, c'est le guide suprême qui est le décisionnaire final, que ce soit sur le dossier nucléaire ou sur les questions stratégiques de sécurité ou de diplomatie. Pour certains diplomates, le président élu a toutefois un avantge : il connaît le guide Ali Khameneï depuis plus de trente ans et il est en bon termes avec lui, contrairement à d'autres anciens dirigeants réformateurs, comme Hussein Moussavi, assigné à résidence depuis sa défaite à la présidentielle de 2009, ou l'ancien président Rafsandjani, écarté du scrutin, il y a quinze jours.
Les choses vont-elles réellement changer ? C’est trop tôt pour le dire, mais il est clair que l’on va vers un discours moins « musclé » et davantage orienté vers le compromis. Durant la campagne électorale, Rohani a répété qu'il était partisan d'une plus grande souplesse pour mettre fin aux sanctions occidentales liées au programme nucléaire controversé de l'Iran. Il ne s’est pas caché non plus pour critiquer sévèrement son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad, à qui il a reproché de s'attirer inutilement l'hostilité de la communauté internationale. Le soir de son élection, il a même clamé à ses partisans qu’il allait briser la chape de plomb qu’a imposé son prédécesseur à la société iranienne durant huit ans !
L’avenir dira si l’Iran s’ouvre enfin et si le pays retrouvera une place dans le concert des nations. Mais il y a fort à parier que le temps ne jouent pas en faveur des mollahs. Aujourd’hui, le monde est devenu un village et le nouveau président iranien en a peut-être conscience. C’est le vœu que l’on peut former pour que l’ancienne nation perse retrouve le chemin de la démocratie et de la liberté d’expression.
Jean-Jacques Durré
(C) Photo: La Matin