Deuxième producteur au monde de vêtements derrière la Chine, le Bangladesh a vécu, le 24 avril dernier, le pire accident de l'histoire de l'industrie textile mondiale. Pas moins de 1.300 personnes sont mortes dans l'effondrement du Rana Plaza, révélant la face sombre de la mondialisation, celle d'une exploitation inhumaine des travailleurs du Sud. Secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11), Arnaud Zacharie tire pour nous les leçons de ce drame effroyable.
- Pensez-vous que ce qui s'est passé au Bangladesh va changer quelque chose à la situation des ouvriers du textile ?
- C'est en tout cas ce que j'espère. Malheureusement, il faut des catastrophes de cette ampleur pour qu'il y ait des prises de conscience suffisantes au niveau de l'opinion publique et des décideurs politiques. Plusieurs grandes marques occidentales de vêtements se sont engagées à améliorer la sécurité des usines du pays, mais d'autres, américaines notamment, n'ont toujours pas accepté de suivre ce chemin-là. Ce qui veut dire que cet accord ne concerne pour le moment que 1.000 usines sur les quelque 4.500 que compte le Bangladesh. C'est un premier pas dans la bonne direction, mais on est encore très loin d'avoir abouti, surtout que le Bangladesh est loin d'être le seul pays à être concerné par ce problème. Ce qu'il faudrait, ce sont des normes à l'échelle internationale, car si le Bangladesh est le seul à les appliquer, les grandes marques délocaliseront leurs activités vers les pays voisins où l'on continue à exploiter les travailleurs, comme la Birmanie.
- Ce n'est pas le premier drame qui se déroule dans ces pays. Peut-on parler d'une certaine hypocrisie de la part des multinationales et des pays occidentaux ?
- C'est vrai que les accidents et les catastrophes sont assez fréquents dans les usines au Bangladesh et ailleurs, mais pas avec une ampleur aussi importante que ce que l'on a connu avec l'effondrement du Rana Plaza. On peut donc parler d'hypocrisie dans le cas des grandes marques occidentales. Celles-ci sont prises dans un système de concurrence effrénée qui leur fait oublier la place de l'humain. A force de chercher à produire au prix le plus bas, elles en viennent à des aberrations. Car il faut bien se rendre compte que le salaire des ouvriers du textile ne représente pratiquement rien. Le fait de le doubler, voire de le tripler ou de le quadrupler, n'aurait d'ailleurs qu'un impact tout à fait bénin sur le prix de nos vêtements.
- Dans le cas de ces ouvriers du textile, peut-on parler d'une forme d'esclavage moderne ?
- D'une certaine manière, oui, car ils travaillent dans des conditions extrêmement pénibles pour un salaire de misère. Au Bangladesh, la plupart d'entre eux passent effectivement entre 50 et 100 heures par semaine à l'usine, pour une trentaine d'euros par mois. On est donc loin des normes édictées par l'OIT en matière de travail décent.
- Que préconisez-vous ?
- Il faut mettre fin au dumping social, à cette course vers le bas. Et la seule solution, selon moi, c'est d'avoir un plancher universel, c'est-à-dire d'imposer des normes sociales et environnementales minimales à toutes les entreprises qui voudraient commercialiser leurs produits sur le marché européen et utiliser le produit de cette taxe anti-dumping pour financer un fonds en vue de l'instauration de ces normes dans les pays en développement. Cela n'enfreint en rien les règles mises en place par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et cela permet d'éviter une guerre commerciale avec la Chine, qui serait tout à fait contreproductive, puisque la contrainte s'imposerait à toutes les firmes, viserait les firmes plutôt que les pays, et permettrait de financer le travail décent dans les pays pauvres.
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Retrouvez la suite de cette interview réalisée par Pascal André dans le journal Dimanche n°21 du 9 juin, disponible sur la boutique en ligne