Les dangers de l’extrême-droite sont-ils minimisés en Allemagne ? L’affaire qui va être jugée à Munich, une des plus importantes concernant des néonazis depuis l’après-guerre, n’est pas un simple procès criminel tant elle est entourée de zones d’ombre dans la manière dont l’enquête a été menée.
Ajourné au 14 mai, c’est un procès particulièrement attendu, voire historique, qui s’est pourtant ouvert hier devant le tribunal de Munich, en Bavière. Avec une question essentielle en filigrane: pourquoi la police et les services de renseignements allemands n’ont-ils pas repéré plus tôt la cellule terroriste néonazie auteur de neufs meurtres racistes?
Face aux juges, Beate Zschäpe (photo) et quatre complices. Accusée d’ « appartenance à une association terroriste », Clandestinité nationale-socialiste (NSU) en l’occurrence, cette jeune femme de 38 ans est surtout soupçonnée d’avoir participé, avec Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos, au meurtre de neuf commerçants, la plupart turc ou d’origine turque, et d’une policière, entre 2000 et 2007.
Avec l’arrestation de Beate Zschäpe et le suicide de ses deux comparses en novembre 2011 (suite à l’échec d’un braquage de banque), l’Allemagne découvrait avec horreur l’existence de cette cellule terroriste néonazie à laquelle elle appartenait, et un film de quinze minutes dans lequel le trio infernal revendiquait ses crimes racistes. Depuis, la jeune femme se tait.
Egarement de l’enquête
Jusqu’à cette arrestation, les crimes de ces commerçants étaient restés non élucidés. Les enquêteurs avaient plutôt privilégié l’hypothèse de règlements de comptes au sein des milieux criminels turcs. « Jamais le motif raciste ne fut envisagé » déplore l’avocate de la famille d’une victime. D’ailleurs, l’existence même de la NSU semble avoir été ignorée. Les trois néonazis étaient pourtant connus de la police et des services de renseignement pour leur activisme, mais ont réussi à vivre dans la clandestinité pendant une dizaine d’années. Une clandestinité relative puisque durant cette époque, ils auraient quand même été en contact avec une centaine de membres de la mouvance néonazie alors que celle-ci est « noyautée » par d’innombrables « indics », comme Andreas T. Or, la presse allemande rapporte que cet homme était présent dans l’Internet-café de Halit Yozgat le jour du meurtre de ce dernier. Mais bien que l’on ait découvert chez lui des armes et un exemplaire de Mein Kampf, l’enquête à son sujet finira par être classée. Son interpellation coïncide pourtant avec la fin de la série de meurtres…
Rôle des services secrets
Par ailleurs, l’attitude des services secrets sème le doute. Ainsi le jour où l’Allemagne apprend l’existence de la NSU, ils détruisent des documents concernant le groupe néonazi « Thüringer Heimatschutz » dont avaient fait partie le trio de la NSU.
Le trouble causée par cette affaire fut tel que des commissions d’enquête parlementaires ont été mises sur pied au niveau national et dans plusieurs Länder (États-régions) et que le patron des renseignements généraux et d’autres responsables ont démissionné.
Que sortira-t-il de ce procès de grande ampleur (71 parties civiles, 49 avocats et quelque 600 témoins) qui devrait s’étaler sur deux ans ? Si la vérité sur toutes les zones d’ombre relève du vœu pieux, l’un des avocats espère au moins qu’il conduira les responsables politiques à ouvrir les yeux sur le danger de l’extrême droite. Un thème qu’il juge « minimisé car particulièrement gênant en Allemagne ». Ainsi aux dires du ministère de l’intérieur, l’extrême droite serait responsable de 63 meurtres à caractère raciste depuis la réunification du pays en 1990. Mais selon la presse allemande, ce chiffre s’élèverait plutôt à 152.
P.G. (avec La Croix)