Editorial de Pascal André, paru dans « Dimanche Express » n°5 du 10 février 2013 :
Non, je ne vais pas vous parler de l’Afrique du Sud, même si, un peu plus de vingt ans après la disparition officielle de l’apartheid, son fantôme continue toujours de planer sur la nation arc-en-ciel. Non, l’apartheid dont je souhaiterais vous parler aujourd’hui, c’est celui que nous vivons au quotidien et qui ne se base pas uniquement sur la couleur de peau. Il n’a aucune existence légale et il est pourtant bien réel. Il est d’ailleurs tellement bien ancré dans notre inconscient qu’il transforme peu à peu notre monde globalisé – ce soi-disant grand village planétaire – en une juxtaposition d’îlots, d’enclos et de prés carrés, voire de forteresses, sans grands liens entre eux. Pour dire les choses autrement, il y a plus de barrières, de fossés, de clôtures, de grilles, de frontières et de portes fermées, dans notre société, que de passerelles, de ponts ou de passages.
Vous n’êtes pas d’accord? Vous me trouvez trop pessimiste? Alors, passez simplement en revue les visages des personnes que vous fréquentez au quotidien. Combien de pauvres, de Noirs, de musulmans, de Flamands, d’immigrés, de handicapés, d’homosexuels comptez-vous parmi vos amis et vos connaissances? Très peu, probablement. Et cela n’a rien d’étonnant: il est tellement plus facile de dialoguer et de se sentir en harmonie avec quelqu’un qui appartient à la même classe sociale, à la même culture, à la même religion, au même groupe linguistique que soi. C’est humain, et il n’y a pas vraiment de raisons de culpabiliser, sauf qu’il y a un revers à cette médaille: la peur de l’autre qui s’instille en nous, telle un poison, et qui peut très vite se transformer en haine de l’autre. Car plus nous fréquentons nos pareils, plus la différence nous effraie.
« Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir? », nous demande Jésus, dans l’évangile selon saint Matthieu. « Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire? Les païens n’en font-ils pas autant? » Dans un monde où tout est de plus en plus interconnecté, nous ne pouvons plus nous permettre de rester bien chaudement entre nous et d’ignorer ce qui se vit juste à côte de chez nous. Il suffit d’ailleurs d’aller à la rencontre des autres pour constater que ceux que nous percevions, à tort, comme des ennemis ne sont finalement pas très différents de nous et ont souvent les mêmes craintes que les nôtres.