La ministre française du Logement a invité l’archevêché de Paris, en tant que propriétaire foncier, à mettre à disposition des sans-abri ses bâtiments vides. Indélicatesse? Provocation ? Cécile Duflot se défend d’avoir voulu stigmatisé l’Église. Mais sa « sélection » pose question.
C’est le journal satirique « Le Canard enchaîné » qui avait lancé, fidèle à sa vocation, le pavé dans la mare. Dans son édition du 14 novembre, il dressait une liste de biens épiscopaux « le plus souvent aux trois quarts vides. » Il n’en fallut pas plus à la ministre du Logement, Cécile Duflot, pour qu’elle écrive à l’archevêché de Paris pour lui demander de mettre à disposition de l’État certains de ces bâtiments vides afin d’héberger des sans-abri. Appelant de ses vœux un « choc de solidarité », elle lançait le 3 décembre dernier un appel à tous les propriétaires fonciers de Paris disposant de locaux vides, mettant ainsi sur un même plan, l’Église, les banques, les assureurs, la SNCF…
L’Église catholique n’a pas tardé à réagir, notamment par la voix de Charles Gazeau, délégué épiscopal pour la solidarité du diocèse de Paris. Le responsable a ainsi rappelé que l’Église catholique œuvre toute l’année pour le bien des sans-abri au travers de nombreuses associations (Secours catholique , Aux Captifs la libération…) et qu’elle mettait tous ses bâtiments à leur disposition, dans la mesure de son possible. « On n’a pas attendu que Cécile Duflot soit ministre pour nous préoccuper du sort des plus pauvres », a protesté le délégué épiscopal, précisant que sur les 106 paroisses que compte le diocèse de Paris, une vingtaine offre l’hébergement et le gîte dans le cadre de l’opération « hiver solidaire ». Cette opération a permis d’héberger 400 personnes et d’en réinsérer 40, et ce sans aucune aucune aide de l’État, seulement grâce aux dons des paroissiens et au bénévolat.
L’Eglise se sent agressée
En attendant la réaction de l’archevêque de Paris, le cardinal Vingt-Trois, d’autres voix catholiques se sont exprimées sur ce dossier, notamment Christine Boutin, députée et ancienne ministre du Logement dans le gouvernement Fillon, qui a lancé un autre pavé dans la mare en dénonçant le fait « qu’une espèce de cathophobie est en train de s’installer ». « On donne l’impression que l’Église catholique et le diocèse ne font rien pour les SDF et ça, c’est insupportable ».
Le délégué général de l’Alliance Vita, Tugdual Derville, a dénoncé de son côté une « agressivité croissante d’une partie de la majorité vis-à-vis des religions, et particulièrement de l’Église catholique ». Agressivité déjà ressentie lors de l’audition des responsables religieux à l’Assemblée nationale, le 29 novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe.
De l’huile sur le feu ?
Dans une interview donnée au magazine La Vie de cette semaine, la ministre se défend de tout cela. Et en particulier de mettre de l’huile sur le feu à un moment de fracture entre le gouvernement et l’Église catholique à propos du mariage pour tous. « Ma demande de participer à la solidarité en mettant des immeubles vides à disposition est une traduction supplémentaire dans les actes du message social de l’Église, au-delà des actions qu’elle mène déjà », explique-t-elle. « J’ai reçu une éducation catholique qui a structuré mon enfance et mon adolescence, c’est un fait. Je n’ai jamais rompu avec elle, mais ce que j’y ai vécu de vivant me paraît s’être étiolé », ajoute Cécile Duflot qui met en avant qu’une partie de son engagement politique est issue de l’enseignement de l’Église: la nécessité de l’égalité, de l’attention apportée aux plus pauvres. La ministre dit cependant rester « pleine d’espérance ». « Si un certain nombre de bâtiments vides sont utilisés pour loger des gens qui en ont besoin, voire transformés en logements sociaux, cela participera du rapprochement entre le discours et les actes ».
Sans doute l’Église peut-elle faire plus comme l’a d’ailleurs dit Mgr Podvin sur Europe 1, en assurant que les congrégations religieuses et les diocèses étaient prêts à continuer. Fallait-il pour autant la cibler de cette manière? On connaît des syndicats français qui disposent de jolis châteaux, parfois aux portes de Paris, pour participer aussi à ce « choc de solidarité » et faire se rapprocher les discours et les actes.
Pierre GRANIER