Une fois n'est pas coutume, notre attention sera aujourd'hui portée sur un matériau. Et quel matériau! Le marbre jaspé. Plus précisément, celui extrait d'une unique carrière, celle de Saint-Remy à Rochefort. Le marbre jaspé de Rochefort fait actuellement l'objet d'une exposition dans les murs de l'abbaye Notre-Dame.
Site classé et propriété de l'abbaye Notre-Dame de Saint-Remy de Rochefort, la carrière est riche de quatre siècles d'histoire. Elle exporte son marbre jaspé jusque dans la basilique Saint-Pierre de Rome, en passant par le château de Versailles ou, plus près de chez nous, l'église Saint-Loup de Namur. Mais plutôt devrait-on dire ses marbres jaspés, tant leurs veines abondantes aux coloris variés rendent unique chaque pièce façonnée par ces artisans et artistes qui ont réussi à extraire, tailler et dompter la matière bigarrée.
Marbre et abbaye, une histoire commune
Impossible d'évoquer la carrière Saint-Remy de Rochefort sans parler de l'abbaye homonyme, puisque les deux sont liées intimement. La carrière n'a pas toujours appartenu aux cisterciens, mais elle est, chaque fois, revenue dans le giron de la propriété monastique. Et le père Albert van Iterson (1917-1982) n'y est pas étranger! Dès son entrée dans les ordres à l'abbaye de Rochefort, ce moine hollandais est séduit par la nature qui l'entoure. Il est vrai qu'une zone de 225 hectares de verdure ceinture la retraite des cisterciens rochefortois, eux-mêmes grands défenseurs de leur environnement. C'est à l'initiative du père Albert que le site de la carrière de marbre se voit classé en 1975.
Pour se rendre compte de l'importance de ce matériau dans l'histoire des religieux, il suffit d'entrer dans leur église. Un endroit envoûtant, fait de sobriété et de dépouillement, où tout invite à la méditation. Comme ce labyrinthe de marbre, dessiné sur le sol, qui attire d'emblée le regard dès que l'on franchit la porte de l'église. Blanc et rose, il est la copie conforme de celui de la cathédrale de Chartres, réalisé vers 1200 et qui, lui, est fait de l'assemblage de pavés blancs et bleus. Chemins initiatiques, ces labyrinthes sont supposés mener, non seulement à l'approfondissement d'une quête intérieure, mais aussi à l'émergence d'un cheminement spirituel. Mais le marbre jaspé n'est pas visible seulement dans l'église abbatiale; il est omniprésent dans toute l'abbaye, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des bâtiments. Pavements, cheminées, fontaines, figurines ornant les bassins… L'abbaye "respire" le marbre.
Du bonheur pour les yeux
Vieux Bleu, griotte fleurie, rouge royal, byzantin… Du gris au rose, les variations chromatiques des marbres jaspés enchantent la vue. S'y retrouvent même fossiles et coquillages, attestant du passé maritime de ces formations coralliennes. De tout temps, le marbre a fasciné et a été utilisé dans les demeures des plus grands. "La vérité, c'est que le marbre possède une âme et que la vie qui anime ce que notre orgueil croit inanimé, fourmille de particules intenses…", disait Jean Cocteau. Le marbre jaspé de Rochefort est un exemple parfait de ce matériau d'exception, de cette pierre veinée, vivante et éternelle. Et si les marbres wallons connaissent depuis toujours une renommée internationale, ceux de la région rochefortoise en sont les premiers ambassadeurs, tant leurs particularités les rendent uniques au monde.
L'histoire de la carrière Saint-Remy; la genèse des marbres jaspés de Rochefort; le dur labeur des hommes qui ont su tirer des pierres des œuvres sculptées d'une intense beauté, sont retracés dans cette intéressante exposition, accessible jusqu'au 9 décembre, du jeudi au vendredi, de 10h à 18h, à l'abbaye Notre-Dame de Saint-Remy.
Sylviane BIGARÉ
Un livre sur le sujet, richement illustré et comprenant 240 pages, a été publié sous la direction de Jacques Toussaint. Il peut être commandé au Musée provincial des Arts anciens du Namurois, Hôtel Gaiffier d'Hestroy, Rue de Fer, 24 à 5000 Namur. Tél: 081/77.67.54.
