La personnalité de Pie XII nourrit bien des controverses. Rarement un pape aura donné lieu à tant de polémiques manichéennes. Le débat vient de resurgir avec l'évocation de sa béatification. Aussi l'université de Namur a-t-elle voulu dresser un état des connaissances actuelles, en organisant un colloque sur "Pie XII et ses images".
Eugenio Pacelli fut le cardinal secrétaire d'État de Pie XI, avant d'être élu pape, le 2 mars 1939. Une période particulièrement délicate. L'enjeu de son pontificat, comme l'a rappelé Axel Tixhon, fut de se situer "entre le discours antimoderniste et la modernité". Ce fut donc un pape de "concordat", un pape diplomate.
Avant d'être Pie XII, le secrétaire d'État a joué un rôle central dans la fondation de l'Académie pontificale des Sciences, en 1936. Ce faisant, il a défendu "l'autonomie du savoir scientifique" et refusé de faire de ce sénat scientifique une académie réservée aux seuls catholiques. Car, comme l'a souligné Dominique Lambert, cette Académie pontificale des sciences "a joué un rôle important de résistance au fascisme", en nommant des académiciens juifs ou en publiant des textes de savants juifs.
Pie XII et la Shoah
En privilégiant la discrétion, Pie XII a refusé de dénoncer clairement le nazisme et ménagé les tendances totalitaires. "Comme la Croix-Rouge internationale, le Saint-Siège a donné la priorité à l'aide concernant les déportés, les réfugiés."
Après la guerre, "le silence perdure", estime Jean-Dominique Durand (Lyon III), et "le pape refuse de donner une lecture chrétienne de la Shoah". "Protéger l'Allemagne des vengeances", lui éviter un traité de paix raté (comme en 1919) et "construire l'Europe" sont des motifs qui justifient probablement une telle "obsession du consensus". Et Jean-Dominique Durand de souligner que "les polémiques contre Pie XII sont à l'honneur de l'Église catholique, puisqu'elles soulignent l'attente très forte" qui subsiste à l'égard de celle-ci.
Des silences qui résonnent encore
Selon Muriel Naudin (EPHE, Paris), la prudence de Pie XII est contestée, en interne, dès le début de son pontificat, avant même le début du conflit de 40-45. On lui reprochera ensuite d'avoir "trop peu parlé" pendant le conflit et "trop parlé après". Depuis la pièce incendiaire "Le Vicaire" (1963), "le débat ne s'est jamais apaisé". Or "le scandale éclate pendant Vatican II". Dès lors, "Pie XII cristallise les idéologies différentes". L'évolution amorcée dans les années 60 mène à "une perception nouvelle de la figure papale". Et c'est précisément en comparaison avec ses successeurs que Pie XII est jugé. "Un discrédit d'autant plus fort que la papauté paraît comme une des seules institutions qui propose un discours universaliste". Des silences du pape, certains en arrivent au silence de Dieu…
Angélique TASIAUX
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Photo : Les historiens français Jean-Dominique Durand et Muriel Naudin © Médias Catholiques