Diplômée en Histoire contemporaine, Céline Préaux a présenté un doctorat dans cette discipline, et elle l'a ensuite partiellement compilé dans un livre : "La fin de la Flandre belge ?". Le choix du titre pose d'emblée la question de la pérennité de la nation belge.
"La fin de la Belgique n'est pas inéluctable, mais si la nation belge se pose comme un obstacle au développement de la nation flamande, ce sera la Flandre avant la Belgique", affirme Céline Préaux, qui reprend l'expression : "Avec la Belgique si c'est possible, sans la Belgique si c'est nécessaire". Selon l'universitaire, "la radicalisation des Flamands s'explique par la notion centrale de l'identité flamande des francophones de Flandre".
Un malentendu de taille
Céline Préaux pointe l'attente déçue des néerlandophones, qui "attendaient de la compréhension et de la légitimité dans la lutte" pour la reconnaissance de leur langue. Constatant que leur élite s'obstinait à recourir au français, ils en ont conçu de "l'amertume", puis un sentiment de "trahison". Céline Préaux voit, dans ce ressenti contre les francophones, "le mythe fondateur de la nation flamande", allant jusqu'à souligner que "l'émancipation doit se faire avec l'éradication du français".
À l'inverse, "l'identité flamande des francophones de Flandre justifie leur manque de réaction. Ils pensaient représenter les néerlandophones" et considéraient, dès lors, la pratique du français comme "un moyen d'élévation", puisque cette langue était alors en usage dans les cours européennes et les échanges diplomatiques. Mais la Flandre rurale n'a pas jugé la question linguistique sous cet angle et les conséquences en sont encore perceptibles aujourd'hui.
Car le conflit linguistique n'est pas neuf. Il habite même le pays depuis des générations. Historiquement, la "flamandisation" de l'université de Gand a été un enjeu crucial dans la reconnaissance de la langue flamande. Devenue bilingue en 1923, elle a ensuite connu l'usage imposé de la langue flamande en 1930, après une chute du gouvernement. L'université de Gand était un bastion francophone; la perte du français dans ce cadre académique fut ressentie comme "un choc" par les francophones de Flandre. Selon Céline Préaux, cette étape marque aussi "l'abandon du soutien des francophones wallons", qui craignaient "un changement de régime linguistique en Wallonie" et un bilinguisme imposé dans tout le pays. Il y eut pourtant quelques "sursauts" de résistance, tel celui du barreau d'Anvers en 1933 qui s'est ligué "contre le projet de loi sur l'usage des langues en matière judiciaire".
Deux options incompatibles
Aujourd'hui, les francophones de Flandre "continuent leur vie culturelle en français" et s'installent à Bruxelles et en périphérie, ou, à l'inverse, ils "se néerlandisent"… Quant aux écoles d'immersion et autres efforts déployés par les francophones de Bruxelles et de Wallonie pour jongler avec la langue de Guido Gezelle, Céline Préaux observe que "du point de vue des néerlandophones, les francophones sont un train en retard dans l'apprentissage de la langue".
L'historienne déplore que l'héritage des francophones de Flandre soit ignoré, voire rejeté, dans les manuels scolaires, qui s'attardent uniquement sur l'oppression des flamands et la trahison des francophones. Elle observe d'ailleurs que la question linguistique occupe le devant de la scène en dernière année d'humanités dans le nord du pays.
Le nœud du problème tient précisément à cette perception différenciée du réel. "Ce sont deux mondes à part, dans les médias, dans l'enseignement, …". L'apport des francophones dans l'essor économique ou culturel est volontairement oublié. Il s'agit d'un "héritage dans le développement de la Flandre qui est rejeté"; "l'histoire est biaisée", souligne encore l'historienne.
"Avec la construction européenne et la crise, les sentiments régionaux augmentent", poursuit-elle. Et certains Flamands en arrivent aujourd'hui à s'élever contre la langue anglaise, qu'ils considèrent comme "une menace" contre leur propre langue ! Face à ce "nationalisme flamand ethnique", Céline Préaux s'insurge et estime qu'il faut "dépasser le passé". "Il s'agit d'un combat d'arrière-garde à l'heure de la construction européenne.".
Angélique TASIAUX
Retrouvez l'entièreté de cet article dans le "Dimanche Express" n°34, du 7 octobre 2012.