Après un afro-américain, les Américains éliront-ils un Mormon le 6 novembre prochain et à quel prix ? Certes, les élections présidentielles américaines demeurent passionnantes. Mais on peut tout de même y déceler des germes d’inquiétude quant à l’avenir de la démocratie et à ses rapport avec l’argent.
La course à la Maison blanche est aujourd’hui la compétition politique la plus importante de la planète. Celui qui en sort vainqueur est considéré comme l’Homme le plus puissant du monde. Mais cette compétition politique est également devenue au fil des années la plus couteuse. Et elle ne cesse de battre des records. Si on peut douter que les budgets de plus en plus colossaux des campagnes électorales aient contribué à la qualité et à la maturité politiques des candidats et des débats, on a surtout de bonnes raisons de penser que c’est la démocratie représentative comme marqueur idéologique le plus important de la modernité qui en sortira abîmée. A cause de cette course folle vers l’argent qui décide de la sélection des représentants du peuple, on observe lentement mais surement un glissement progressif de la démocratie américaine du « one man, on vote » vers le « one dollar, one vote ».
En effet, les chiffres sont assez édifiants quant à l’ampleur du problème. On estime à 750 millions de dollars le coût de la campagne électorale qui a permis à Obama d’accéder à la Maison Blanche. Cette somme ne tient compte que des dépenses réalisées uniquement par l’équipe d’Obama des primaires démocrates au face à face avec McCain. Certains prédisent même que celle de 2012 lui coutera pas moins d’un milliard, soit 25% plus chère que la précédente. En outre, si l’élection de 2008 a couté à l’ensemble des candidats près de 1,4 milliards, c’est-à-dire deux fois qu’en 2004 et quatre fois qu’en 2000, on prévoit en 2012 qu’ils auront ensemble dépensé près de 6 milliards.
En ce qui concerne les deux candidats encore en lice, si Obama se présente comme le champion des levées des fonds sur le terrain avec 343 millions contre 193 pour Romney, ce dernier le devance lorsqu’il s’agit des Super Pacs qui sont des lobbies ou des comités d’action politique regroupant des entreprises, des syndicats, des associations ou des individus dont les contributions en faveur de l’un ou l’autre candidat sont illimitées. D’un côté, Microsoft et Google roulent pour Obama avec des contributions allant de 350 000 à 500 000 chacun et de l’autre Morgan Stanley et Goldman Sachs financent Romney entre 500 000 et 650 000.
Dopage politique ?
Pour sûr, le « one dollar, one vote » nuit à la démocratie. D’une part, en s’attaquant à son ADN qui est le « one man, one vote », il fait de nouveau du pouvoir politique l’affaire des puissants. Le pouvoir cesse d’être l’émanation du peuple. Il devient progressivement l’apanage d’une caste aristocratique de personnes. En disposant de leviers financiers importants, de nombreuses entreprises imposent leur diktat à l’ensemble du peuple. D’ailleurs, on se rend bien compte que l’essentiel des fonds collectés vise moins une course stimulante vers la meilleure idée politique et le débat de qualité qu’une virée régressive vers le dénigrement inopportun de l’adversaire par spots publicitaires interposés.
D’autre part, cette nouvelle tendance de la démocratie Made in America ressemble fort bien à du dopage politique. S’engager dans une guerre de moyens financiers comme c’est le cas actuellement s’apparente sans doute aux techniques de dopage bien connues dans le sport. Or, si l’on s’offusque et sanctionne durement ces pratiques dans les compétitions sportives, la disgrâce d’Amstrong en témoigne, pourquoi semble-t-on parfois plus indulgent avec les candidats à la Maison Blanche ? Par exemple, personne n’a trouvé immoral en 2008 que McCain reste dans le cadre de ce qu’exigeait la loi en terme de financement de sa campagne et que Obama sorte de cadre pour être financé par les particuliers et disposer d’un budget dix fois plus important que son concurrent.
Comme dans toutes les compétitions, la course à la Maison Blanche a besoin de règles justes qui doivent servir l’objectif premier de la démocratie représentative, à savoir le « one man, one vote ». En déclarant anticonstitutionnelle la loi qui interdisait aux entreprises de financer les campagnes électorales jusqu’à un certain montant, la Cour suprême n’a pas seulement succombé à la pression des lobbies financiers, elle a surtout ouvert une boîte de Pandore pour l’avenir de la démocratie américaine. Le vote de chaque citoyen doit pouvoir compter, et pas seulement celui des plus fortunés. Pour cela, l’équité exige que tous les candidats rivalisent sur une même base financière.
Thierry Ngosso