Economiste en chef à la banque Degroof et chargé de cours aux Facultés de Namur et à l’UCL, Etienne de Callataÿ est souvent amené à parler de la crise, ou plutôt des crises, qui se sont succédées depuis 2008. Il jette un regard lucide sur les causes de celles-ci et parle sans détour des excès qui nous ont amenés à la situation actuelle. Il appelle à davantage d’éthique et admet que l’avenir ne sera pas facile, même s’il reste fondamentalement optimiste en réfutant les scenarii les plus sombres.
Pour Etienne de Callataÿ, la crise est due à une défaillance humaine et publique. Les processus de régulation du secteur financier ont montré leur limite. « Nous avions une propension à avoir trop de dettes publiques. Une partie de la responsabilité de la crise est donc liée à l’action des autorités », dit-il. Ce n’est pas la seule cause. Il appelle à ne pas occulter la dimension des leçons éthiques à tirer de la crise. « La première leçon - la plus frappante - est l’appât du gain. Quand l’appât du gain vire à nuire à autrui, c’est parfaitement condamnable ». Il faut avoir une approche globale de la crise et travailler à la fois sur l’éthique et sur la régulation publique pour ne plus commette les mêmes erreurs. Croire que l’on va retrouver un état de stabilité est utopique. Et de citer Nietzche : « la stabilité rend fou ».
La première crise dite des ‘subprimes’ est arrivée en 2008. Ensuite, il y a eu la crise financière et maintenant la crise des dettes étatiques. Cela va-t-il s’arrêter ?
Nous allons passer de crise en crise. Croire qu’il n’y avait plus de possibilités de crise nous a conduits à cette l’énorme crise actuelle. Il y aura toujours de nouveaux défis. Aujourd’hui, la plupart des questions porte sur le secteur financier, les finances publiques, la croissance économique et la cohésion au sein de la zone euro, mais il y a bien d’autres sujets de préoccupations. Il y a toujours eu des crises. Il faut les gérer et surtout minimiser leur incidence sur les plus faibles.
Néanmoins, l’impact sur les plus faibles est bien réel, que ce soit en Grèce, au Portugal, en Espagne et même chez nous. Y-a-t-il de l’espérance pour ces gens ?
Dans la stratégie de sortie de crise, l’idée de protéger les plus faibles ne reçoit pas assez d’attention. La crise dans les pays industrialisés demandera des efforts. La population au sens large sera mise à contribution, mais il y a moyen d’immuniser dans une très large mesure les plus faibles.
Selon vous, de nombreux défis nous attendent. Au fond, la question fondamentale n’est-elle pas de savoir quel monde veut-on laisser aux générations futures ?
Notre manière de vivre, avant la crise, n’était pas soutenable. D’une certaine manière, la crise est salutaire. Nous payons les excès d’hier. Ce n’est pas aujourd’hui que l’on commet des erreurs. Au contraire.
Le pape et les évêques de la COMECE ont à plusieurs reprises insisté pour que l’on replace l’humain au centre des préoccupations, regrettant par ailleurs que ce dernier soit devenu « une marchandise ». Partagez-vous cet avis ?
Il est évident que l’humain doit être au centre. Il est parfaitement utile de rappeler cette prééminence de l’humain et aussi que l’argent est au service de l’avancement de la société. Je n’aime pas la diabolisation de l’argent, mais l’obsession de l’argent est présente. Nous devons être soucieux d’éviter tout ce qui est ostentatoire. L’étalage de la réussite financière est source de souffrance.
Lorsqu’on voit la structure de l’économie belge, où l’industrie ne représente plus qu’une petite part de celle-ci, peut-on réellement dire que notre économie a réellement un avenir florissant ?
Comme celle tous les pays industrialisés, l’économie belge est confrontée à de grands défis. Il faut compter avec la croissance à un rythme soutenu des pays émergents. Si nous évoluons vers une société avec plus d’équité, dans laquelle la problématique de l’immigration sera mieux abordée et où le système d’enseignement fonctionnera mieux, nous avons tous à y gagner. Ces défis sont autant d’opportunités. Nous avons à nous réjouir du développement économique des pays émergents, surtout sur le plan humain. Des dizaines de milliers de personnes échappent, année après année, à la pauvreté la plus abjecte. C’est une réussite. Il ne faut pas piloter l’économie et le social en ayant les yeux rivés sur le rétroviseur, mais bien avoir le courage de dire que ni l’assemblage automobile pour la Flandre, ni la sidérurgie wallonne ne sont des activités porteuses d’avenir. Ce n’est pas là que nous créerons des dizaines de milliers d’emplois dont nous avons besoin pour assurer un avenir à notre jeunesse.
Cela demande un réel courage politique…
Oui, mais pas seulement. Cela demande aussi un effort de pédagogie. Avant de s’en prendre aux politiciens, il faut des électeurs qui dépassent leur propre égoïsme. Ce qui fait défaut, c’est la confiance de la population envers ces autorités pour sortir de la crise. Il est vrai que la confiance a été abusée. Le retour de la confiance passera en tous cas de manière temporaire par une réforme de la régulation.
Propos recueillis par Jean-Jacques Durré
Découvrez l'intégralité de l'interview d'Etienne de Callataÿ dans le dossier sur la crise économique publié dans l'hebdomadaire Dimanche n° 37 du 28 octobre 2012 et prochainement dans l'émission "Il était un foi" en radio sur La Première (RTBF).