Cinéma: « Amour », huis-clos mortifère


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Cinéma: « Amour », huis-clos mortifère
Par Pierre Granier
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
3 min

Palme d'Or du dernier Festival de Cannes, "Amour" est un huis-clos qui raconte de manière très simple et très linéaire, le crépuscule de la vie d'un couple d'octogénaires aux prises avec la déchéance physique d'un des deux. Un film sombre et puissant, sobre et dérangeant, porté par deux comédiens de légende.

Dans un bel appartement parisien quelque peu défraîchi, des pompiers et un inspecteur de police découvrent le corps sans vie d'une vieille dame allongée sur un lit. Celle-ci a beau avoir des pétales de fleurs autour de sa tête, c'est l'odeur de la mort que le spectateur reçoit en pleine figure, pour la scène d'ouverture de ce drame, intimiste et dépouillé, signé Michael Haneke. Mais c'est pourtant d'amour que veut nous parler le réalisateur autrichien dans son dernier film auréolé d'une Palme d'or. Et plus précisément de cet amour indicible qui unit un couple au bout de sa vie.

Corps en déchéance

Ce couple, c'est Anne (Emmanuelle Riva) et Georges (Jean-Louis Trintignant), tous deux professeurs de musique à la retraite. Au lendemain d'un concert qui leur a permis de venir féliciter un jeune pianiste, autrefois élève d'Anne, cette dernière a une "absence" lors du petit déjeuner. Quelques minutes, pas plus, juste le temps de quelques questions de son mari inquiet auxquelles elle ne répond plus. Et puis Anne recouvre ses esprits. Un léger quiproquo s'ensuit du fait qu'elle ne se souvient de rien et la situation semble revenir à la normale. Mais en fait, Anne a été victime d'un accident vasculaire cérébral. Après avoir été emmenée à l'hôpital, elle revient alors chez elle, paralysée.
À partir de ce moment, le spectateur ne sort plus de l'appartement. Il y est enfermé durant deux heures et assiste, troublé, à la déchéance physique et psychique de cette femme. Une déchéance filmée à distance mais dont on verra tout. Plus, en tout cas, que ce qu'Eva, la fille du couple (Isabelle Huppert), ne verra elle-même. Comme si l'agonie de sa mère, et donc du couple, ne la regardait pas; son père allant même jusqu'à fermer à clé la porte de la chambre.
Sur fond d'un impromptu de Schubert (que le compositeur allemand a écrit peu de temps avant sa mort), Michael Haneke ausculte le quotidien qui ressemble à une lente et inéluctable descente aux enfers. Anne sent très vite que la fin est proche. Elle le montre notamment en tournant les pages d'un album photo de famille sans éprouver la moindre nostalgie. Puis sombre peu à peu dans un espèce de délire.

C'est quoi l'amour?

Comment dans ce contexte l'amour se manifeste-t-il? Par des regards chargés de tendresse mais aussi d’angoisse, par des gestes bienveillants, des paroles. Face à l'état de plus en plus difficilement supportable de son épouse, perdant peu à peu l'élocution et répétant inlassablement "mal, mal", Georges raconte des souvenirs, des histoires d'enfant, aux effets apaisants. Mais la patience du garde-malade s’émousse et laisse alors la place à la détresse. Jusqu'où l'amour peut-il aller? Haneke donne sa réponse dans une scène saisissante. Cette réponse est contestable.
Quoi qu'il en soit, ce témoignage sur la finitude de l'être humain, sur la manière de gérer la souffrance et la dépendance de l'autre, nous questionne. Aidé en cela par l'exceptionnel jeu des acteurs. Emmanuelle Riva est bouleversante tandis que Jean-Louis Trintignant compose un vieux monsieur aussi touchant qu'impénétrable dans la réalité de ses sentiments. Bref, une œuvre, certains diront même chef-d'œuvre, dont on ne ressort pas indemne.

Pierre GRANIER

Catégorie : Culture

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