Coup de coeur du Festival de Spa de cet été, le nouveau seul-en-scène de Jean-Luc Piraux nous raconte l’histoire d’un père « largué », dépassé par les événements de la vie. Triste? Pas du tout! C’est au contraire une véritable petite pépite d’humour poétique et de tendresse.
Comment raconter son père? Comment le raconter quand celui-ci n’a plus rien du héros dont parlait Victor Hugo, mais, au contraire, est en train de se noyer dans l’océan de la vie moderne? Pour ce faire, Jean-Luc Piraux a choisi l’humour et la tendresse. « En toute inquiétude », c’est donc l’histoire de Séraphin, un quinquagénaire discret, hésitant, plus vraiment adapté au monde qui l’entoure, plus tellement flexible, et pour tout dire quelque peu dépassé par les événements. À sa décharge, il faut dire qu’il a quelques circonstances atténuantes: un fils, Georges, qui veut devenir comédien (cela angoisse toujours les parents), un autre fils, Emile, qui est trisomique, une épouse qui pratique la décroissance… et pour finir un licenciement professionnel qui arrive sans crier gare. Avouez qu’il ne faut plus seulement être un héros mais un surhomme pour surmonter tout cela. Or Séraphin est loin d’en être un. Il sursaute dès que sa femme l’interpelle et il a le souffle un peu court quand il rentre chez lui, une maison juchée au sommet d’une côte de 15%…
Pour faire ce portrait touchant, inspiré du cheminement du propre père du comédien, c’est l’entourage de Séraphin qui est convoqué, chacun livrant son petit bout de vérité. Parmi eux, les amis de comptoir, les collègues de travail, un jury d’embauche… Il y a même un maître-nageur flamand qui doit faire appel à du renfort pour tenir à l’œil ce Séraphin afin qu’il ne coule à pic au fond de la piscine! Et puis surtout, il y a Émile, le deuxième fils, avec son « chromosome sauvage ». Zébulon virevoltant, il s’invite dans le public en quête d’une charmante dame qui voudra bien l’embrasser et plus si affinités! Cet être n’est que joie et amour. Mais on comprend que c’est aussi l’une des failles de la figure paternelle, une de ses batailles face au quotidien qu’il ne parvient plus à remporter.
L’humour comme pudeur
S’il charge volontiers tous ses personnages, on sent que Jean-Luc Piraux les aime et ne se moque jamais d’eux. En leur donnant la parole dans leur fragilité, il permet au public de se reconnaître et donc de rire « avec » et non « aux dépens de ». « Le plus beau rire, c’est quand on rit de soi, pas de l’autre. Quand on se reconnaît. Parce que c’est une vraie communion. Dans l’écriture théâtrale, j’aime bien parler de tragédie comique ou de comédie tragique. Ce poids-là amène un rire qui est beau, du fait qu’il sollicite l’humanité dont on est tous chargés », explique l’auteur.
Ce monologue d’une heure qui passe à toute allure, nous le prouve au plus haut point. Tout en laissant place à l’improvisation et au rapport très direct avec le public, Jean-Luc Piraux nous offre un texte tendrement bien écrit sur la caractère aléatoire des trajectoires de vie. Et cet humour auquel il a recours, c’est aussi tout simplement de la pudeur pour parler d’amour et de pardon.
Pierre GRANIER
Jusqu’au 4 octobre au Théâtre Blocry (Place de l’Hocaille à Louvain-la-Neuve). Infos et réservations: 0800/25.325.
Du 14 au 30 mars 2013 au théâtre Varia (à Bruxelles) puis en tournée en Wallonie.
Photo: © Thierry Van den Eynde