Mi-septembre, la télévision flamande VTM annonçait qu’un prisonnier avait été euthanasié pour la première fois en Belgique. Si l’information a été relayée sans plus de commentaires, elle a néanmoins soulevé des réactions, notamment dans le chef de l’Association Belge des Syndicats Médicaux (ABSyM). Car si l’euthanasie constitue un dossier difficile et controversé, elle pose davantage question en milieu carcéral, à propos de la notion de souffrance psychique.
La loi belge sur l’euthanasie a dix ans d’existence en Belgique. A l’époque, cet « anniversaire » avait donné lieu à des réactions contrastées comme il se doit dans un dossier qui ne peut laisser indifférent. L’archevêque de Malines-Bruxelles, Mgr André-Joseph Léonard, avait à cette occasion publié une carte blanche dans La Libre et De Standaard intitulée « Euthanasie : 10 ans après, où est le bien commun ? ». Redisant toute sa sympathie à l’égard des personnes qui souffrent intensément, minées par la maladie et bouleversées par la perspective d’une mort prochaine, il s’interrogeait, entre autre, sur l’argument souvent avancé pour plaider en faveur de la dépénalisation de l’euthanasie, à savoir la liberté individuelle de disposer de sa vie et de sa mort. Mgr Léonard estimait que « dix ans après, on perçoit mieux que l’euthanasie n’est jamais une décision concernant seulement la liberté de ceux qui la demandent ». Et de préciser que le « cri de détresse » des personnes en phase terminale ne devait pas nécessairement être interprété comme une volonté de mourir à proprement parler.
Cette interrogation est ne réalité évident dans le cas d’un détenu de 48 ans, euthanasié dans une prison belge (comme l’a confirmé l’administration pénitentiaire). Cet acte, en milieu carcéral, repose avec davantage d’acuité, la question de la liberté individuelle et de la notion de souffrance psychologique.
Liberté individuelle ?
Pour mieux comprendre, il faut relire ce que dit la loi belge sur l’euthanasie. Dans le cas de personnes conscientes, s’il s’agit d’un patient en phase terminale, l’euthanasie peut avoir lieu, entre autres, si « la demande est volontaire, réfléchie et répétée, et ne résulte pas de pression; elle doit être consignée par écrit » et si « la situation médicale est sans issue et engendre une souffrance physique ou psychique constante et insupportable, qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ». Si le patient n’est pas en phase terminale, deux conditions s’ajoutent à savoir que le médecin doit consulter un deuxième médecin indépendant, psychiatre ou spécialisé dans la pathologie concernée et le délai de réflexion entre la demande écrite du patient et l’acte d’euthanasie est d’au moins un mois.
Le détenu euthanasié était incarcéré depuis 20 ans pour un double meurtre. Selon les informations diffusées, il était atteint d’une maladie psychique. Sa demande a été ratifiée par trois médecins indépendants et considérée comme conforme à la législation belge sur l’euthanasie. Mais, l’ABSym s’interroge. « Le détenu aurait-il pris cette décision sous un traitement psychiatrique approprié ? », écrit le Dr Marc Moens, président de l’ABSyM , dans un communiqué de presse. Le Dr Moens poursuit en rappelant qu’au point de vue médical et éthique, il est injustifiable de ne pas donner aux détenus psychiatriques les soins médicaux nécessaires. « Même si la demande d’euthanasie correspond à toutes les conditions légales, la question que tout le monde se pose dans ce débat social est de savoir si le détenu aurait pris cette décision sous un traitement psychiatrique approprié », interroge-t-il.
Une question qui ramène à la notion de liberté individuelle. Interrogation embarrassante et très vraie, lorsqu’on connaît l’état moyenâgeux de certaines de nos prisons et le phénomène de surpopulation carcérale. La notion de souffrance psychologique prend alors une autre dimension. Le syndicat des médecins réclame depuis des lustres des moyens financiers pour mieux encadrer les détenus psychiatriques. A la lumière de cet acte posé, on doit reconnaître que la loi sur l’euthanasie n’a pas été écrite en pensant à des personnes détenues, totalement sous le contrôle du gouvernement.
Comme le souligne l’Institut Européen de Bioéthique (IEB), « à partir du moment où l’euthanasie est autorisée pour de seules souffrances psychiques, en arriverons nous à considérer que le fait d’être incarcéré pour une très longue durée constitue une souffrance psychique suffisante pour justifier une demande d’euthanasie ? ».
Jean-Jacques Durré