Une dizaine de morts pour un film aussi consternant que « L’innocence des musulmans »: le pastiche américain ne fait vraiment pas rire. Faut-il dès lors retirer cette video ? Dans certains pays, c’est le cas. Ailleurs, Google s’y refuse.
La diffusion sur Internet du film « L’innocence de l’islam » repose une nouvelle fois la question de savoir si l’on peut limiter la liberté d’expression quand il n’y a pas d’incitation à la haine. Une chose est sûre: la réponse n’est pas universelle et c’est bien là tout le problème à l’ère de l’Internet qui ne connaît pas de frontières… La video islamophobe à l’origine de la flambée de violences anti-américaines dans le monde musulman, a ainsi été interdite en Indonésie, en Inde, en Afghanistan et au Pakistan pour se conformer aux législations locales. Mais YouTube a aussi retiré cette vidéo en Egypte et en Libye, pays jugés « sensibles » où des représentations diplomatiques américaines ont été attaquées.
Ailleurs, YouTube maintient la diffusion, au nom de la liberté d’expression, malgré la demande de la présidence des États-Unis de reconsidérer cette position.
On voit donc que la notion de liberté d’expression peut etre « modulée » en fonction des circonstances particulières et que la défense de cette liberté ne prévaut pas partout dans le monde. Si cette video avait provoqué des émeutes aux États Unis, YouTube l’aurait-il maintenu ? Faut-il attendre qu’il y ait des morts pour se reposer la question et changer d’attitude?
Le centre El kalima se désole
Pour un occidental, qui a baigné dans une culture judeo-chrétienne, la video incriminée est une parodie critiquant la religion. Elle peut être jugée comme une provocation, elle ne comporte cependant aucune incitation à la haine. Mais ce n’est qu’un point de vue… que ne partage pas un oriental imprégné de culture musulmane.
Faisant le pont entre ces deux cultures, le père Christian Deduytschaever, responsable d’El Kalima (le centre chrétien pour les relations avec l’islam), estime que le film va effectivement trop loin et que l’on atteint ici, selon lui, les limites de la liberté d’expression. « C’est difficile pour nous de concevoir à quel point ce film est insultant pour un musulman », dit-il en expliquant que dans la video, un interdit est doublement transgressé: d’une part on représente Mahomet et d’autre part on représente un Mahomet pécheur. Aucun parallèle ne semble même envisageable avec ce qui pourrait révolter à ce point un catholique. « Peut-être la profanation d’osties consacrées… » Et encore. « C’est beaucoup plus grave que de se moquer du Christ, que l’on peut représenter », indique le père Deduytschaever. « Les musulmans sont touchés dans leur honneur. Pour eux, ‘c’est la honte’ « . La grande majorité ne l’exprime heureusement pas de manière aussi virulente que ce que l’on a pu voir, mais ils sont touchés de la même manière dans leur sensibilité.
Le responsable d’El Kalima se désole aussi qu’un tel film risque de mettre à mal les relations qui sont patiemment nouées entre musulmans et les autres religions. « Cet été, en Belgique, il y a eu de nombreux signes d’ouverture à l’occasion de la rupture du ramadan, y compris de la part de salafistes à l’égard des juifs. Il ne faudrait pas qu’une telle vidéo anihile tout cela. Nous allons voir si le climat s’apaise… » Cela semble être la cas. A ce jour, le centre El Kalima n’a pas dû revoir son programme de rencontres.
Pierre GRANIER