Editorial de Pascal André paru dans le « Dimanche Express » n°33 du 30 septembre 2012 :
La rédaction de « Charlie Hebdo » a-t-elle pris des risques inconsidérés en publiant des dessins jugés blasphématoires par les musulmans? Oui, sans aucun doute, et il est heureux que cette nouvelle provocation du magazine satirique français n’ait pas entraîné de réactions aussi violentes et meurtrières que celles provoquées par le film américain « L’Innocence de l’islam ». Sur ce point, nous partageons d’ailleurs totalement le point de vue de l’ancien leader de Mai 68, Daniel Cohn-Bendit: « Quand on est sur une poudrière, on réfléchit avant de craquer une allumette. » Il y a effectivement quelque chose d’irresponsable à jouer les incendiaires dans un monde globalisé et inflammable comme le nôtre.
En publiant ces caricatures, « Charlie Hebdo » est évidemment tout à fait dans son droit, la satire étant une des saines activités auxquelles on reconnaît une démocratie. Pas question, donc, ici de remettre en question la liberté d’expression ou de réclamer une loi sur le blasphème, comme certains l’ont fait suite à cette affaire. Une question demeure cependant: le jeu en valait-il la chandelle? Ces caricatures ont-elles contribué à rendre notre modèle de société plus attrayant aux yeux du monde, à faire progresser la paix et le respect mutuel? À voir les réactions d’hostilité qu’elles ont provoquées, on peut en douter. En choquant la grande majorité des fidèles musulmans, elles placent effectivement les islamistes en défenseurs courageux et zélés de la religion, et font de nous, européens et américains, des êtres impies, incapables de respecter les croyances d’autrui. Bien sûr, « Charlie Hebdo » n’a sans doute que faire de ces considérations géopolitiques. Reste qu’en agissant ainsi, le journal a rendu service aux extrémistes musulmans qui cherchent le moindre prétexte pour manifester leur haine de l’Occident et dont les motivations n’ont probablement que très peu à voir avec la religion.
Nos confrères auraient, en tout cas, pu trouver une façon plus subtile d’épingler les fondamentalistes et extrémistes de tout poil, que de s’attaquer au fondement de la foi de tant de croyants, en la personne du prophète Mohammed. D’autant plus que cela ruine les efforts de celles et ceux qui, comme Benoît XVI au Liban, tentent de jeter des ponts entre les deux communautés. Nul doute qu’après ceci, il leur faudra à nouveau déployer des trésors de patience et de persuasion pour renouer le dialogue.