Après une décennie de croissance euphorique, les ventes de produits équitables marquent le pas dans plusieurs pays d'Europe. La crise économique est passée par là et les différents types d'acteurs sont souvent contraints de s'adapter et d'ajuster leurs stratégies. Comment le secteur du commerce équitable réagit-il ? Comment éviter que la consommation solidaire soit sacrifiée sur l'autel des baisses de pouvoir d'achat qui touchent une partie importante des ménages ? La journée mondiale du commerce équitable ce 12 mai est l’occasion de jeter un regard critique sur l’évolution de ce marché.
Le commerce équitable a véritablement émergé comme alternative crédible à la consommation traditionnelle au début des années 1990, en passant des étals de quelques réseaux militants aux rayons des supermarchés. Avec des taux de croissance annuels de plus de 20 % en moyenne, le marché des produits équitables a évolué considérablement, en particulier durant la dernière décennie.
Mais depuis 2010, avec la crise financière et la diminution importante du pouvoir d’achat dans les pays européens, la vente de produits équitables commence à marquer le pas. Face à cette baisse, les différents acteurs du secteur n’ont pas tous pris la même voie. Ainsi, Max Havelaar Belgique s’est dirigé vers une commercialisation plus large de ses produits en favorisant le réseau de la grande distribution, Delhaize en tête.
En tant que coordonnateur de la Fédération belge du commerce équitable, Eric Dewaele est un témoin privilégié des trajectoires différentes que connaissent les différents types d'opérateurs actifs dans le secteur. Son regard sur ces questions est assez éclairant : "Plusieurs de nos membres connaissent des difficultés liées à la crise, alors qu'effectivement, dans le même temps, les ventes de produits équitables (en particulier alimentaires) progressent dans la grande distribution. Il faut vraiment être attentif parce que si le commerce équitable finit par se limiter aux ventes générées dans les grandes surfaces, on risque de très vite s'éloigner des objectifs initiaux du commerce équitable. N'oublions pas que dans ces grandes enseignes de distribution, la priorité sera toujours donnée à la rémunération du capital et, de leur point de vue, la vente de produits équitables doit servir cet objectif." Pour Eric Dewaele, un second facteur risque bien de mettre également en péril le système initial, "Les entreprises qui fournissent la grande distribution doivent faire très attention à conserver leur indépendance pour ne pas être digérées par ces grandes enseignes, en particulier en temps de crise, alors qu'elles durcissent leurs conditions." Certains, comme l'organisation gantoise Sjamma, sont durement touchés et doivent mettre fin à tout ou partie de leurs activités. Tout l’Or du Monde, boutique-café du centre de Bruxelles, a dû fermer ses portes en mars 2012.
Quand les multinationales s’en mêlent
Au niveau international également, la colère gronde. Fair Trade USA a récemment quitté Fairtrade International, la principale fédération mondiale de commerce équitable pour lancer sa propre initiative.En Amérique latine, des petits producteurs ont créé leur propre certification, en réaction à l’ouverture du label Fairtrade Max Havelaar aux grandes plantations. Les tensions sont de plus en plus vives au sein d’un mouvement traversé par différentes visions du développement et plusieurs approches du commerce équitable.
Les réactions ont été unanimes au sein du mouvement mondial du commerce équitable pour condamner l’initiative de Fair Trade USA, qui préfère maximiser le volume des ventes de produits plutôt que l’impact auprès des producteurs. Dans de nombreux pays, des ONGs de commerce équitable ont beaucoup travaillé pour développer l’accès aux marchés des organisations paysannes et sensibiliser les consommateurs aux injustices structurelles du commerce international. En vain ? La certification de produits provenant de plantations partenaires des grandes sociétés importatrices et transformatrices menacera directement les petits producteurs, qui pourraient se voir mis à l’écart d’un commerce pourtant créé pour eux.
Un concept victime de son succès
La participation de grandes sociétés multinationales pose question à un mouvement qui se donnait pour objectif de dénoncer les déviances, les mauvaises pratiques, voire les fondements du commerce international. L’objectif de départ n’était pas seulement d’améliorer les conditions de vie des producteurs, mais de jeter les bases d’un autre type de commerce. Le commerce équitable est devenu un label vendeur, ce qui intéresse les multinationales.
Entreprendre dans l'équitable est sans doute plus difficile aujourd'hui qu'il y a quelques années, mais c'est vrai dans toutes les activités. Plus que jamais, il importe de favoriser le partenariat en acteurs du commerce équitable, de continuer à faire valoir la qualité des produits et de bien étudier le marché pour prendre des décisions respectueuses du projet porté depuis ses débuts.
Pour une analyse plus détaillée de cette problématique, nous vous invitons à consulter les publications du CTB (Agence belge de développement) à partir du site : https://www.befair.be/
CP/MVL