Décédé le 30 mai dernier à Madras, à l'âge de 98 ans, le père Pierre Ceyrac était presque aussi célèbre et adulé en Inde que Mère Teresa. Arrivé dans ce vaste et merveilleux pays en 1936, il n'a jamais dévié de sa ligne: le service des plus pauvres. Ce qui en fait l'une des grandes figures spirituelles de notre ère.
Né le 4 février 1914 à Meyssac, en Corrèze (France), dans une famille bourgeoise catholique, Pierre Ceyrac n'avait que 17 ans quand il décida d'entrer dans la Compagnie de Jésus. Il souhaitait en effet marcher sur les traces de son oncle jésuite, Charles Ceyrac, dont il entendait beaucoup parler lorsqu'il était enfant. "La figure de cet oncle inconnu fit naître en moi la vocation missionnaire qui signifiait deux choses à mes yeux: partir sans espoir de retour, mais aussi aller vers un pays de grande misère, car, dès l'enfance, j'ai ressenti le désir de secourir les plus pauvres." Sa décision d'entrer dans la Compagnie de Jésus s'accompagnait d'ailleurs d'une condition: être envoyé en Inde. Une requête un peu inhabituelle, mais qui fut finalement acceptée, même s'il dut attendre six ans avant de pouvoir partir.
C'est ainsi qu'en 1937, il débarqua au Loyola College, la grande université jésuite de Madras, où il apprit le tamoul et le sanskrit, et s'initia à la culture et aux religions de l'Inde qu'il considérait comme autant de "chemins vers Dieu". "De la même manière que le Christ s'est vidé de lui-même pour devenir l'un de nous à jamais", expliquait-il, "le missionnaire doit renaître pour devenir éternellement un avec son nouveau peuple."
Un don total aux plus pauvres
"Ma vie de jésuite", résumait-il, "s'est déroulée par tranche de quinze ans. Quinze ans de formation intellectuelle et d'immersion profonde dans la culture indienne. Quinze ans comme aumônier national des universités de l'Inde. Quinze ans dans les bidonvilles de Madras et de développement rural dans le Talminadou. Et enfin, quinze ans au service des réfugiés, dans les camps de Thaïlande et du Cambodge, et dans le camp de Méhéba en Zambie." Durant toutes ces années, son objectif ne fut pas de "faire grandir l'Église", mais de sauver l'homme, quel qu'il soit.
Mal à l'aise avec une institution qui, sur place, présentait à ses yeux un visage encore trop riche, notamment à cause du pouvoir que lui conférait son important réseau sanitaire et éducatif, il préféra s'engager pour la justice, auprès des enfants des rues, des lépreux et des intouchables. Suivant les traces du Mahatma Gandhi, qu'il avait bien connu, il se mit en effet à dénoncer le système des castes et à manifester en faveur de l'intégration des dalits. "Notre combat est un combat non pour les droits de l'homme", expliquait-il, "mais pour le droit d'être un homme, ce qui est très différent."
Fidèle à sa mission jusqu'au bout
Jusqu'à sa mort, le père Ceyrac est resté fidèle à sa mission et n'a cessé de révéler l'amour de Dieu envers les plus pauvres. "Il ne peut garder la moindre roupie plus de quelques minutes", disait d'ailleurs de lui un de ses frères jésuites. Pour le religieux, en effet, "tout ce qui n'est pas donné est perdu". Cette phrase, qui a servi de titre à l'un de ses livres, "dit quelque chose d'essentiel sur ce que nous sommes en profondeur", expliquait-il. "En effet, nous sommes faits pour donner, nous sommes des êtres pour les autres. C'est le don aux autres qui nous libère et nous permet d'être nous-mêmes. Et quand je dis cela, je ne parle pas d'autre chose que d'amour. Aimer, c'est tout donner, c'est se donner."
Pascal ANDRÉ