Ce vendredi 2 mars, les animateurs délégués par les unités se prononcent sur un nouveau texte de Loi et de Promesse scoutes (qui ont été préalablement soumis au bureau mondial). Grande nouveauté: le mot « Dieu » n’y figurera sans doute plus. Jérôme Walmag, le président fédéral des Scouts, a demandé à rencontrer la rédaction des médias catholiques pour exposer son point de vue.
Pourquoi avez-vous décidé de changer la Loi de 1984 ? Ne convenait-elle plus ?
Au moment où j’ai présenté ma candidature pour devenir président, j’ai clairement exprimé le souhait de travailler sur le sujet de la Promesse. En effet, nous sommes dans un mouvement où, dans pas mal d’unités, la promesse a malheureusement perdu du sens, voire complètement disparu, sans doute parce que, traditionnellement, c’était une tâche qui était entre les mains des aumôniers et qu’il y a aujourd’hui pas mal d’unités qui ne sont plus spécialement en lien avec une paroisse ou un aumônier. Or, la Promesse fait partie des principes fondamentaux du mouvement. C’est un acte que vivent tous les scouts à travers le monde, quelle que soit leur confession. Personnellement, cela m’a interpellé en tant que formateur. Donc, je suis venu avec le sujet de la promesse, en faisant remarquer que l’on n’a pas de texte de référence, alors que toutes les autres associations scoutes à travers le monde en ont un.
En quoi consiste la Promesse ?
Outre l’adhésion à la Loi scoute dans son entièreté, la Promesse fait mention de trois devoirs: le devoir envers soi-même, le devoir envers les autres et le devoir envers Dieu. C’est ce que désignent les trois doigts levés au moment de la promesse. On n’est pas juste une garderie costumée; on a des valeurs à transmettre et un processus d’adhésion par rapport à ces valeurs. Donc, lorsque j’ai fait la tournée des délégués avant mon élection, ils m’ont dit qu’ils étaient d’accord du travailler sur la Promesse, à condition qu’on travaille aussi sur le texte de la Loi.
Pourquoi ?
Parce que la Loi n’est pas comprise correctement par tout le monde. L’exemple le plus typique, c’est l’article 3: « Le scout rend service et agit pour la justice. » Dans la tête de beaucoup d’éclaireurs et même d’animateurs, la périphrase « agir pour la justice » est comprise comme « agir pour le pouvoir judiciaire », ce qui est évidemment tout à fait contraire au sens original. C’est une évolution dans la sémantique dont il faut tenir compte. Voilà pourquoi nous avons proposé une autre formulation: « agir pour un monde plus juste ». On a donc rassemblé tous les animateurs qui voulaient travailler sur le sujet et on a essayé de voir avec eux comment redire avec nos mots d’aujourd’hui les valeurs fondamentales de notre mouvement. Nous étions 800 à ce congrès, ce qui est le double d’un congrès habituel. Preuve que cela touche les jeunes et les animateurs.
Pourquoi le mot Dieu n’apparaît-il pas dans les trois formulations qui seront proposées au vote des animateurs délégués ce vendredi?
Lors du Congrès, c’était clair qu’il y avait un consensus à ce sujet. C’est l’article qui a été le plus commenté et l’écrasante majorité ne souhaitait plus que l’on fasse mention de Dieu. Pour eux, ce n’est pas un argument pour dire la fraternité. D’ailleurs, si vous reprenez la première version de la Loi, celle de Baden-Powell, l’article 4 ne fait pas référence à Dieu: « Le scout est un ami pour tous et un frère pour tous les autres scouts ». La présence de Dieu dans la loi scoute n’est donc pas quelque chose d’obligatoire. Par contre, la présence d’une dimension spirituelle dans la promesse est rigoureusement indispensable. Ça, on ne peut pas s’en affranchir. Je tiens toutefois à faire une petite mise au point : les délégués qui souhaitent conserver la mention de Dieu telle qu’elle est formulée dans la Loi de 1984 peuvent le faire.
Pourquoi la mention de Dieu pose-t-elle problème ?
Premièrement, la plupart des animateurs ne s’y retrouvent pas. Ça ne leur parle plus. Ce n’est pas un argument pour eux pour dire la fraternité. Même certains des catholiques les plus fervents sont mal à l’aise à l’idée que leurs convictions religieuses et leur foi aient une préséance sur celles de l’ensemble des autres membres. C’est clairement mon cas.
Ensuite, la recherche spirituelle, telle qu’elle est envisagée aujourd’hui dans notre mouvement, n’est pas exclusivement tournée vers Dieu. Elle est plus large que cela. Nous avons d’une part l’animation aux valeurs, où nous cherchons à faire comprendre aux jeunes ce qui est juste, bon et positif pour la société. D’autre part, nous avons la dimension spirituelle qui fait appel à la dimension verticale, transcendante, de l’être humain. Sur le plan spirituel, nous avons pris position en 2006 et cette position reste inchangée. D’ailleurs, le débat d’aujourd’hui ne porte pas sur la spiritualité, mais sur l’animation aux valeurs.
Comment voyez-vous cette animation spirituelle?
L’objectif du scoutisme, c’est l’épanouissement individuel et intégral de la personne dans ses dimensions physique, sociale, intellectuelle, sociale, affective et spirituelle. Il s’agit donc de permettre à chacun de progresser et de faire des découvertes dans sa dimension spirituelle, en cohérence avec sa foi, au quotidien. Nous avons des dizaines de fiches sens–action sur notre site Internet. Cette animation spirituelle doit se faire en s’appuyant sur des références. On doit se confronter à un message qui vient de l’histoire de l’humanité. Pour certains, ce sera l’Évangile; pour d’autres, ce seront des références laïques, comme la déclaration universelle des droits de l’homme; pour d’autres encore, ce sera le Coran ou un autre texte sacré. Il y a la place aujourd’hui, à égalité de valeur, pour différentes religions dans le mouvement.
Qu’est-ce qui vous distingue alors des scouts pluralistes ?
La différence majeure, c’est que tous nos groupes ne sont pas pluralistes. Nous sommes une association multiconfessionnelle. C’est-à-dire qu’une unité peut dire que la référence qui fait sens pour elle, c’est l’Évangile. Chez les scouts pluralistes, par contre, les unités doivent être toutes pluralistes. On a un grand nombre d’unités qui sont clairement en lien avec une paroisse, avec un aumônier actif qui est membre de l’unité.
Pourquoi n’y a-t-il qu’un délégué par unité ? Est-ce que cela ne désavantage pas les grosses unités ? Est-ce que cela est vraiment démocratique ?
On est le seul mouvement de jeunesse à le faire en Belgique de cette façon-là. Notre mouvement, dans sa sagesse, a décidé, il y a douze ans, que la petite unité qui se bat pour survivre ne soit pas défavorisée par rapport à la grosse unité. Cela se passe aussi de cette façon au niveau de l’organisation mondiale. Chaque pays a une voix, quelle que soit son importance numérique. C’est notre façon de procéder. Elle est tout à fait révisable, mais à l’heure actuelle, il n’y a aucune assemblée fédérale qui a demandé de revoir le système. Une unité peut également toujours décider de créer une petite sœur.
Les scouts eux-mêmes ont-ils une voix ?
Non, uniquement les animateurs, car ils sont les propriétaires du mouvement. Ce sont eux qui décident la politique générale du mouvement. En principe, il doit y avoir eu un débat à l’intérieur de chaque unité.
Le malaise par rapport à Dieu traduit-il d’abord un malaise par rapport à l’Église ?
Je pense que dans la tête de la plupart de nos animateurs, ce qui pose problème, c’est l’institution Église. Il y a plusieurs explications à cela. D’une part, beaucoup sont détachés de la foi catholique. D’autre part, la perception qu’ils en ont est relativement floue et fortement influencée par ce qu’ils en lisent dans la presse ou entendent à la télévision. Et ce n’est généralement pas très positif. D’autre part, il y a une certaine propension à pousser la dimension religieuse dans la sphère privée. On sent aussi ce réflexe-là dans la manière dont le mouvement se vit. Dans notre pays, le mot Dieu est en quelque sorte une marque déposée de l’Église catholique. On serait aux États-Unis, ça ne poserait pas du tout problème: Dieu est un concept qui est utilisé par pratiquement tout le monde et pas par une Église en particulier. Aujourd’hui, c’est une dimension qui se construit beaucoup plus de l’intérieur, avec des phases d’enthousiasme et des phases de doute. Ce qui pose problème, c’est l’imposition par le dessus. Pour moi, il vaut mieux que le gamin qui va prononcer sa promesse puisse choisir de dire Dieu plutôt que de se le voir imposer.
Comment avez-vous accueilli l’appel au partenariat lancé par Mgr Kockerols dans « La Libre Belgique » ?
Très bien, je l’ai d’ailleurs rencontré avant qu’il ne publie sa carte blanche. C’était d’ailleurs moi qui étais demandeur. En fait, je souhaite aller plus loin que lui. Sa proposition est la suivante: Il faut pouvoir proposer des outils aux jeunes qui sont dans des unités liées à des paroisses ou à des collèges, les accompagner, leur proposer des partenariats au niveau local. Bien, mais moi, je pense aussi aux jeunes catholiques qui sont isolés dans des unités pas forcément catholiques. Notre devoir, c’est de faire en sorte qu’eux aussi puissent progresser dans leur développement spirituel. Mais on ne pourra pas le faire sans le soutien d’hommes d’Église investis dans le mouvement.
PA