Un quart des citoyens bruxellois est d'origine musulmane dont environ la moitié est active religieusement. Cette présence incontournable et surtout sa dynamique religieuse ont été étudiées en profondeur au cours de l'année 2010 par le sociologue Felice Dassetto, professeur émérite de l'UCL. Les résultats de sa recherche viennent d'être publiés dans un livre: "L'iris et le croissant".
Quelle est la réalité de la présence religieuse de l'islam à Bruxelles ? Le professeur Dassetto y répond en 360 pages bien tassées dans son dernier ouvrage: "L'iris et le croissant"*. Cette présence peut se traduire par quelques chiffres. Le professeur de l'UCL a ainsi dénombré plus de 200 organisations qui font explicitement référence à l'islam comme religion. Parmi elles les mosquées bien évidemment (il y en a 77), des associations culturelles et religieuses, des écoles, des librairies, des maisons d'édition, des sites web… En fait, à Bruxelles, l'islam est la deuxième réalité organisée qui encadre et mobilise le plus de monde. Juste après le football… Mais devant l'Eglise catholique ou les partis politiques. "C'est une composante structurante de la réalité bruxelloise", constate le sociologue qui pointe aussi l'importante présence de l'islam dans l'économie bruxelloise que ce soit via des structures (agences de voyages, pompes funèbres, médias…) ou des produits considérés comme "licites" (hâlal) par la normative religieuse (nourriture, habillement, cosmétique…). Egalement implanté en politique, l'islam est au final une véritable force sociale à Bruxelles.
Islam, facteur d'identité
Outre les multiples facettes de cette religion dans la capitale, le professeur livre un décryptage de la pensée et de l'idéologie religieuse qui sous-tendent l'islam bruxellois (marquée par le néosalafisme), et une analyse de la manière dont les musulmans religieux de la ville se perçoivent en tant que Bruxellois. Sur ce dernier point, le clivage semble prononcé entre eux et les autres habitants de Bruxelles. Pour les musulmans, l'islam est clairement un facteur identitaire. Mais les explications au dynamisme de l'islam sont d'ordre avant tout religieux. Il est lié au fait que dans l'islam, sunnite en particulier, "chacun est responsable du devenir de sa propre religion" rappelle le professeur Dassetto.
Ouvrir le débat
Reste un problème: le fait qu'il existe une sur-socialisation religieuse d'un côté, et une absence d'intégration civique d'autre part. Il n'y a pas, par exemple, d'équivalent à ce qu'étaient les "patros" des paroisses catholiques. "Est-ce que les mosquées comprennent l'enjeu d'une intégration civique ? Et du côté non-musulman, a-t-on compris l'enjeu de cette composante importante de Bruxelles?" demande le sociologue. "Les Scouts, qui ont abandonné l'étiquette catholique, sont embarrassés devant ces jeunes à l'étiquette musulmane…", relève le professeur.
En faisant cette étude, Felice Dassetto veut ouvrir réellement un débat sur une question occultée, sans stigmatiser une communauté. "On veut parler de l'islam mais en fait on parle de multiculturalisme. C'est tourner autour du pot. Les musulmans religieux amènent sur le tapis de la cohabitation des questions nouvelles. Il faut les résoudre."
Et dans ce débat, le dialogue islamo-chrétien est important selon lui. A condition qu'il organise des rencontres citoyennes et pas seulement des rencontres de religions. "Il faudrait que les catholiques puissent discuter avec des salafistes, des frères musulmans et montrent comment ils ont résolu le problème du rapport avec la laïcité de l'Etat. C'est un débat très utile, à mener sereinement dans le cadre du monde associatif. Les politiciens n'ont pas le temps pour cela…"
Pierre GRANIER
*Aux presses universitaires de Louvain – 35 euros
photo: Mgr Léonard lors d'une visite dans une école de Bruxelles. (c) Vicariat de Bruxelles - Service communication