Malgré la paix revenue, les catholiques de Bosnie-Herzégovine ne rentrent pas au pays. La capitale est devenue à plus de 90% musulmane. Archevêque de Sarajevo, Mgr Puljic témoigne.
Autrefois ville cosmopolite, la plus orientale des villes d’Europe – baptisée la « Jérusalem des Balkans » – n’est plus aussi pluraliste qu’elle le laisse paraître avec cette concentration de minarets, clochers à bulbe byzantins, synagogues, églises catholiques aux clochers élancés… « Sarajevo se prétend ouverte à la convivialité entre les communautés, mais quand on regarde ce qui se passe sur le plan du marché du travail, de l’administration, des médias, tout est dans une seule main« , souligne Mgr Puljic, l’archevêque de la capitale bosniaque.
Aujourd’hui, les juifs de Sarajevo ne sont plus que quelques centaines, victimes comme les autres minorités, Serbes et Croates, d’une « épuration ethnique » qui ne dit pas son nom. Quant aux catholiques, essentiellement des Croates, qui formaient 15% de la population avant la guerre de 1992, ils ne sont plus que 15 à 17.000 dans une ville qui compte aujourd’hui près de 700.000 habitants. « La guerre a tout changé et les Accords de Dayton de décembre 1995, qui ont mis fin au conflit armé, ont en quelque sorte justifié l’épuration ethnique et l’injustice« , estime le cardinal.
« épuration ethnique »
Les personnes déplacées par la guerre par centaines de milliers ne peuvent en effet retourner chez elles et reconstruire leur village si elles appartiennent à une minorité. Ce mécanisme « d’épuration ethnique » est aussi bien valable dans les territoires contrôlés par les Serbes (à l’encontre des Croates et des musulmans) que dans la Fédération croato-musulmane, dominée par les musulmans. « Les accords de Dayton ont mis les Croates dans une situation inégalitaire, et cette situation a été aggravée par leur application et par les modifications apportées par le Bureau du Haut Représentant (OHR) de l’Union européenne. Honte à la communauté internationale! », lance l’archevêque de Sarajevo.
Les catholiques ressentent la discrimination tant au niveau politique qu’administratif, et sentent bien qu’ils ne sont que tolérés. La majorité au pouvoir leur fait comprendre que ce n’est plus leur pays.
« Les chrétiens ont émigré à cause de la guerre, mais aussi comme conséquence d’une stratégie bien pensée« , affirme le prélat bosniaque qui explique que les musulmans veulent réaliser leur rêve: avoir leur propre pays, avec Sarajevo comme capitale. « Nombre de musulmans nous disent que les Croates ont la Croatie, que les Serbes ont la Serbie et qu’eux n’ont que la Bosnie!« .
Mgr Puljic relève également que dans leur recherche d’identité propre, les musulmans de Bosnie veulent créer une nouvelle langue, à côté du serbe et du croate.
Influence du radicalisme
Pourtant, à la base, les relations sont bonnes: « On le voit à la veille de Noël, les gens viennent nous saluer, nous souhaiter bonne fête, par sympathie et amitié. Près de la moitié des gens qui viennent à cette occasion à la cathédrale ne sont pas des catholiques. Le problème n’est pas avec les gens du peuple, il est avec les médias et les politiciens, qui créent les tensions entre les communautés et qui manipulent les sentiments de la population! »
L’arrivée, durant la guerre, de musulmans fondamentalistes venus des pays arabes, a aussi contribué à une certaine radicalisation des Bosniaques, qui étaient plutôt des musulmans modérés. Ces « wahhabites », qui ont combattu par milliers avec l’armée bosniaque, ont amené avec eux leurs coutumes et leur vision du monde, étrangère aux musulmans des Balkans.
Depuis une dizaine d’années, dans la période de Noël, ces musulmans fondamentalistes distribuent des tracts qui affirment qu’il est interdit à un vrai musulman d’adresser des voeux de Noël. Et le cardinal de relever qu’un centre culturel a édité – à plus de 100.000 exemplaires – un livre attaquant Jésus Christ.
« Comme le gouvernement de Sarajevo est musulman, il ignore volontairement le phénomène de l’islam radical. Certains journaux libéraux réagissent, parfois aussi des policiers, mais officiellement, l’islamisme radical n’existe pas« , assène Mgr Puljic.
Sarajevo, désormais devenue à plus de 90% musulmane, compte actuellement quelque 300 mosquées, financées en grande partie par l’Arabie Saoudite et d’autres pays musulmans qui contribuent également à l’édition de livres et à la construction de grands centres islamiques où les gens reçoivent une formation. « Quand les musulmans veulent construire une mosquée, ils reçoivent tout de suite le permis de construire, et nous, pour des églises, après dix ans, nous n’en avons toujours pas!« , constate, désabusé, l’archevêque.
Apic/P.G.