Cri d’alarme sur le risque d’un nouveau génocide au Soudan


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Cri d’alarme sur le risque d’un nouveau génocide au Soudan
Par Manu Van Lier
Journaliste de CathoBel
Publié le - Modifié le
6 min

Depuis quelques mois, le régime de Khartoum a amassé près de 50’000 soldats et fait venir des milices musulmanes "janjawid" du Tchad et du Niger et même des combattants somaliens d’al-Chebab, dans le but de contrôler le Sud Kordofan et de soumettre les Monts Nouba par la force… Mgr Macram Max Gassis, le célèbre évêque d’El Obeid, au centre du Soudan, dénonce un risque de génocide de ces populations que Khartoum veut arabiser et islamiser par tous les moyens.

Mgr Macram Max Gassis qui réside la plupart du temps au Kenya, ne peut plus se rendre à Khartoum depuis quelques mois, car il a témoigné à Washington sur ce qui se passe dans son diocèse.

Visiblement ému et secoué par ce qui se passe dans les Monts Nouba, ainsi que dans les régions disputées d’Abyei et du Nil Bleu, il est en Europe pour témoigner et attirer l’attention sur ces populations menacées d’extermination: "Incapables de vaincre militairement ces populations retranchées dans la montagne, ils vont utiliser deux sortes d’armes mortelles: soit ils vont les affamer. soit ils vont utiliser les armes chimiques qu’ils possèdent". Le statut des trois régions frontalières de son diocèse, entre le Nord et le Sud du Soudan, est encore imprécis, mais la guerre y fait rage depuis quelques mois. L’agence Apic a interviewé Mgr Macram Max Gassis lors de son passage en Suisse.

Apic: Le Sud, peuplé de populations noires chrétiennes ou appartenant aux religions africaines traditionnelles, est indépendant depuis le 9 juillet. Tout le monde pense qu’ainsi le conflit qui a fait plusieurs millions de morts au Soudan durant ces dernières décennies est enfin résolu...

Mgr Macram Max Gassis: En réalité, depuis plusieurs mois, la guerre fait rage dans le Sud Kordofan. Khartoum, après avoir perdu le Sud du Soudan et ses richesses pétrolières, ne veut pas se séparer des Monts Nouba, ainsi que de la zone d’Abyei et du Darfour. De toute façon, le président Omar El-Béchir n’a pas accepté l’indépendance du Sud de gaieté de cœur et par pure bonté, mais parce qu’il n’avait pas d’alternative. Cette possibilité avait été prévue par l’accord de paix global entre le Nord et le Sud (CPA) signé en 2005. Mais il mise sur la découverte de pétrole dans les zones contestées.

"Maintenant que le Sud Soudan est indépendant, que 99% des habitants dans le nord du Soudan sont musulmans, l’Etat va gouverner en fonction de la charia, la loi islamique", lance sans ambages à Khartoum le président Omar El-Béchir. Mais les populations des Monts Nouba, des Noirs de grande taille - qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou adeptes des religions animistes – ne veulent pas être soumises au régime islamique du Nord.

Apic: Le monde sait très peu de choses sur ces zones contestées, notamment dans les Monts Nouba.

Mgr Macram Max Gassis: En réalité, une guerre brutale a éclaté dans le Sud Kordofan et les Monts Nouba. Les combats opposent l’armée de Khartoum et les milices musulmanes aux populations noires, qui ne sont pas arabes: ce sont des gens de haute stature et de culture dinka.

Comment peut-on dire qu’ils appartiennent au Nord arabe et musulman ? Ce n’est pas ici une question de géographie, mais une question de gens ! Si l’on pense qu’avec l’indépendance du Sud, on a résolu tous les problèmes, on se trompe lourdement. Je suis évidemment satisfait que nos frères et sœurs du Sud aient enfin reçu leur liberté, que Khartoum ait reconnu leur dignité.

Mais maintenant le régime de Khartoum peut concentrer ses forces afin d’obliger le mouvement populaire de libération du Soudan SPLA/SPLM des Monts Noubas à déposer les armes et à se rendre. Khartoum veut les intégrer au sein des forces armées soudanaises, pour contrôler les Monts Noubas, arabiser et islamiser leur population.

Certaines populations noires dans ces régions sont déjà islamisées, mais ces gens ne sont pas considérées par Khartoum comme de vrais musulmans: ils mangent du porc, produisent de la bière de sorgho… Comment ces populations, celles d’Abyei et du Nil Bleu, pourraient-elles accepter d’être gouvernées sous le régime de la charia, la loi islamique ? En plus, on veut les forcer à parler arabe, utilisant la langue comme porte d’entrée pour l’islamisation. Mais ils restent des Noirs aux yeux des Arabes du Nord.

Apic: Le régime de Khartoum veut-il récupérer les régions contestées ?

Mgr Macram Max Gassis: S’il a cédé le Sud et son pétrole, le président Omar El-Béchir ne veut rien lâcher en ce qui concerne les régions contestées. Il spécule sur la présence d’or noir dans ces régions, et ne veut donc pas les céder. Mais les populations des Monts Nouba avaient rejoint le Sud dans la bataille contre le Nord musulman, à l’époque de la lutte menée par le leader de la SPLA John Garang.

C’est aussi grâce à notre combat au niveau international – devant l’ONU, aux Etats-Unis, en Europe – que le problème des Monts Nouba n’est pas oublié. Khartoum n’a pas pu mener à bien son plan d’assimilation de ces populations à celles du Nord. Un cessez-le-feu avait dû être signé entre le gouvernement de Khartoum et le mouvement de libération SPLA/Nouba, le 19 janvier 2002 au Bürgenstock, dans le canton de Nidwald (Suisse). Maintenant, El-Bachir veut reconquérir ces régions par la force.

Apic: Vous parlez d’un génocide en marche contre les populations des Monts Nouba !

Mgr Macram Max Gassis: Des dizaines de milliers de personnes ont fui ces derniers mois Kadougli, la capitale du Sud Kordofan. La ville est en partie occupée par les forces de la SPLA, en partie par les forces de Khartoum et les milices alliées. EIles ont brûlé 12 villages dans la région d’Abyei. Omar El-Béchir pensait pouvoir faire de même dans les Monts Nouba, mais la configuration montagneuse ne lui est pas favorable. L’armée utilise des bombardiers Antonov de fabrication russe et d’autres chasseurs contre la population civile

Les gens se cachent sous les arbres, dans les grottes. C’est pourquoi l’actuel gouverneur du Sud-Kordofan, Ahmed Haroun, ancien ministre soudanais de l’Intérieur – l’un des trois Soudanais poursuivis par la Cour pénale internationale de la Haye pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour – menace d’utiliser des armes chimiques contre les populations. Khartoum a stoppé les livraisons de nourriture dans cette région. Les populations sont sur la voie de la famine, et si rien n’est fait rapidement, la situation sera bientôt pire qu’en Somalie ! JB

Jacques Berset, agence Apic

Le diocèse d’El Obeid, que Mgr Macram Max Gassis dirige le plus souvent de son bureau de Nairobi, au Kenya (exil oblige !), est un immense diocèse de près de 889’000 km2, soit près de 30 fois plus grand que la Belgique. Ce diocèse de près de 10 millions d’habitants est le plus grand du Soudan. La moitié environ des habitants du diocèse sont musulmans, le reste est divisé entre catholiques (200 à 300’000), protestants et religions africaines traditionnelles.

El Obeid regroupe le Nord-Kordofan, le Darfour et les Monts Nouba. Dans les Monts Nouba – que la guerre a séparés du reste du pays – la population a ses propres priorités et ne veut pas appartenir au Soudan islamiste. Dans cette région les écoles – comme toutes celles dans les zones contrôlées par le SPLA - utilisent l’anglais, la zone gouvernementale utilisant l’arabe. Il y a une partition "de facto", mais Khartoum aimerait y mettre fin par tous les moyens.

Durant la guerre, Khartoum avait essayé de tout arabiser, imposant tous les signes extérieurs en arabe, même à Juba (ou Djouba), l’actuelle capitale de la République du Sud Soudan. Dans le nouvel Etat, l’anglais est devenu la langue de l’instruction publique.

Catégorie : International

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