Dans un entrelacement d’anecdotes et de réflexions, Auguste Fourneau explore plusieurs strates du temps qui passe: les tâtonnements pédagogiques, l’ajustement de la relation à l’autre, l’approche littéraire et surtout l’impitoyable questionnement spirituel voire existentiel. Une trace de vie particulièrement plaisante à lire.
Pour les plus anciens lecteurs de Dimanche, « L’appel des cloches » rappellera certainement quelque chose! Impossible donc pour notre rédaction de passer à côté de ce récit qui n’évoque cependant pas l’histoire de l’ancien hebdomadaire catholique, mais le parcours professionnel et spirituel d’un professeur de lettre dans une école secondaire de l’enseignement confessionnel en Wallonie.
Dans un premier temps, l’auteur s’était pourtant refusé, par humilité, à écrire ces mémoires que lui réclamait son petit-fils. Quelle mouche l’a donc piqué pour changer d’avis alors que débutait pour lui une petite semaine de retraite à l’abbaye d’Orval ? Un article ou plutôt une photo de « soutanosaures » en rangs serrés parue dans l’hebdomadaire « La Vie », et qu’il reçoit en pleine figure comme un retour du totalitarisme religieux dont il fut autrefois la victime et l’agent. Persuadé que « le christianisme peut trouver des réponses en regardant vers demain« , il considéra même son témoignage à venir non plus comme des mémoires mais comme un devoir de mémoire. Et le voilà qui nous entraîne dans cette histoire aussi authentique que romancée.
Depuis son premier jour d’enseignement, où il se présente à ses élèves comme un jardinier devant faire éclore la graine de personnalité de ses élèves, le lecteur revit alors avec Gilles (nom d’emprunt de l’auteur) la « guerre des écoles », l’arrivée des laïcs dans l’enseignement catholique, puis celle de la mixité, et l’enseignement rénové. Gilles nous fait même partager ses aventures pédagogiques avec la méthode Carl Rogers. Derrière toutes les anecdotes, bien souvent relevées de savoureuses pincées d’humour, il y a la profondeur, l’honnêteté et l’humilité de la pensée. Il y a aussi de la tendresse et de la bienveillance pour bon nombre des élèves rencontrés.
Toucher aux dogmes
Mais ce livre n’est pas seulement l’itinéraire d’un professeur. Il nous interpelle aussi sur la foi et le doute. Il le fait grâce à l’aide de magnifiques personnages qui traversent le récit: Florinne avec son lourd passé héritée de la guerre, Atlas, un collègue de travail au gabarit impressionnant, sœur Andréa, Père Félix, l’abbé Gaspard… Autant de figures qui l’ont maintenu dans l’espérance. Son questionnement est pourtant si grand qu’il renoncera un temps à dispenser les cours de religion avant de renoncer à l’enseignement tout court suite à un accident cardiaque. Que faire alors de ce temps libre? C’est en tout cas l’occasion de réfléchir sur sa vocation où l’auteur use de la métaphore de l’horticulteur qui nous renvoie à son premier cours où il s’était présenté à ses élèves comme un jardinier.
Après nous avoir confié sa profession de foi, on comprend également que Gilles est un homme à la recherche de la joie. C’est en tout cas le « diagnostic » du père Félix qui lui rappelle, dans une lettre très émouvante, la nécessaire présence au présent (leçon de zen), l’ici-et-maintenant, et le fait qu’il faut accepter de lâcher prise sans savoir où l’on va.
Enfin, Gilles se confesse également comme un homme « revenu » d’une certaine Église, la « forteresse froide de son enfance« . Ancien légionnaire de Marie, le voici aujourd’hui préférant « La fin des certitudes » de Prigogine au détriment de Veritatis splendor. Pour lui, « il semble urgent d’oser toucher aux dogmes » et de dépouiller Dieu des oripeaux mythologiques dont les siècles l’ont misérablement affublé.
Pierre GRANIER
L’appel des cloches, d’Auguste Fourneau – éditions Traces de vie – 246 pages,
Prix: 18 euros en librairie ou à commander chez l’éditeur (moyennant 2 euros de frais de port), rue de Saint-Hubert, 51 à 6927 Tellin. Infos: 0479/80.26.94 ou www.traces-de-vie.net