Roman : La mémoire d’un peuple malmené


Partager
Roman : La mémoire d’un peuple malmené
Par Angélique Tasiaux
Publié le - Modifié le
3 min

Publié pour la première fois en 2012, "Ave Maria" vient d’être traduit en français. Il est toujours d’actualité pour les chrétiens d’Orient. Deux voix y évoquent leur vision antinomique du monde et de leur pays, l’Irak.

L’un se lance dans un récit truffé de souvenirs, une promenade parmi les photos de sa tribu. Oncle sans enfant, Youssef survit à sa sœur aînée, refusant l’exil loin de sa terre natale. La seconde, Maha, a pour elle la jeunesse et un mari aimant. Sans illusion ni concession, elle veut partir à tout prix. "(…) je suis prête à tout accepter et à tout supporter si c’est pour être enfin libre et vivre loin des voitures piégées, du terrorisme et du communautarisme." Agacement et lassitude se côtoient dans le cœur de la jeune femme, sommée de se justifier quand elle ne porte pas le voile.

Un tiraillement permanent
Didactique, le récit est scandé de prières et de gestes pieux, chers aux catholiques chaldéens. Minorité parmi les musulmans, les jeunes chrétiens se font discrets dans la ville de Bagdad. Sinan Antoon romance la réalité sans l’enjoliver ni la dramatiser. Son récit s’apparente à un témoignage. Irakien par son père, le poète et traducteur installé aux Etats-Unis décrit la souffrance d’un peuple déchiré. Et c’est précisément cette unité diluée que recherche Youssef, cet homme épris d’union entre les croyants. Pour lui, chrétiens et musulmans souffrent ensemble pendant ces années de guerre. La connaissance professionnelle des dattes, ces fruits nourriciers, l’a mené à une honorable carrière dans ce pays où tous les habitants aiment les palmiers, se plaît-il à penser. "Car de même qu’un palmier n’est pas seulement un arbre, mais une vie à part entière, intimement lié à la terre qui gît à ses pieds, avec tout ce qu’elle contient, au ciel qui l’entoure et à l’air qu’il respire, avec tout ce qu’ils contiennent, de même une maison n’est pas que des briques, du ciment et de la peinture mais toute une vie à elle seule."

Le fléau du "communautarisme"
Les activités paroissiales sont le socle de cette société traditionnelle. "A part la faculté, je ne sortais que le dimanche pour aller à l’église Mar-Bathyoun-Le-Martyr avec la famille de mon oncle, ou pour assister aux conférences et aux films à caractère religieux programmés par l’église tous les premiers vendredis du mois dans le cadre de son cycle mensuel d’éducation des paroissiens à la pensée chrétienne", raconte Maha. L’appartenance religieuse dicte les comportements vestimentaires, nourriciers et les choix maritaux. Un repli identitaire guette les habitants, tandis que l’appartenance confessionnelle sépare les groupes en les éloignant. La société se scinde en clivages, hormis quelques anciens comme Youssef que rien n’effraye. Mais les plus jeunes sont las des conflits, des insultes et de la peur du rejet; ils aspirent à un ailleurs sans frontières sociales ni discriminations.

Angélique TASIAUX

Sinan ANTOON, "Ave Maria". Sindbad – Actes Sud, mai 2018, 182 p.

Catégorie : Culture

Dans la même catégorie