Corentin Laurent a séjourné plus d’un an à Jérusalem. Il y découvre une passion pour la photo. Il présente une sélection de ces clichés, instantanés de la vie tumultueuse dans la ville la plus mystérieuse et convoitée du Moyen-Orient. Rencontre.
« Humans – each side story » (NDLR: le titre de l'expo) fait bien entendu référence à la célèbre comédie musciale West Side Story mais cela aurait été réducteur puisque je souhaitais parler des deux côtés. » nous explique d’emblée Corentin Laurent qui a débuté la photo lors de son séjour à Jérusalem. « J’ai acheté un appareil sur place, j’ai surtout fait de la photo à l’aveugle, je me promenais avec mon appareil sur le torse et j’enclenchais l’appareil sans savoir exactement ce que je prenais en photo. » Des milliers de prises de vue, il a bien fallu sélectionné un mince échantillon (28 clichés sont exposés). L’idée de l’exposition est d’ailleurs née d’une rencontre surprenante. Alors qu'il se promène dans la ville enclavée de Naplouse, Corentin croise deux hommes qui lui demandent de les prendre en photo. "Quand je leur ai montré la photo, ils m'ont dit : « Tu diras au monde que nous ne sommes pas des terroristes. » Il est alors devenu évident pour Corentin de rendre public son travail photographique avec l’envie de faire passer un message. « Avec cette exposition, il n’est absolument pas question de faire de la politique et de prendre parti pour l’un ou l’autre camp mais de montrer ce que j’ai vécu comme volontaire. » C’est pourquoi Corentin fait dialoguer Palestiniens et Israéliens sur un pied d’égalité pour mettre en évidence les ressemblances entre ces deux peuples. Le photographe a choisi de ne pas montrer le conflit mais la manière dont les habitants de Jérusalem vivent (dans) ce conflit.
Un heureux hasard
Corentin a donc sillonné la ville de Jérusalem pendant 18 mois pendant son volontariat dans un hospice de Saint Vincent de Paul, au nom de la Délégation catholique pour la Coopération. « Au départ, je leur avais demandé de partir en Amérique latine, en zone rurale, dans un pays sans guerre ni conflit. Ils m’ont annoncé que j’irais à Jérusalem. Des images de bombes et de poussière ont envahi mon esprit mais je suis parti."
Même si Corentin Laurent affirme ne pas avoir choisi les photos selon des critères purement esthétiques, il est indéniable que toutes les prises de vue sont belles - voire même artistiques -, vivantes et spontanées de par leur sujet humain. Corentin Laurent a fait le choix judicieux et évident du N/B qui rend les âmes visibles mais aussi pour matérialiser cette dualité entre deux camps, entre l’ancien et le présent, le bien et le mal.
Chaque photo a son histoire
Chaque photo raconte une histoire que nous livre bien volontiers Corentin. Parfois, aussi c’est la surprise qui est au rendez-vous. "Comme je prenais les photos au hasard sans connaître le cadre exact, j'ai découvert beaucoup de détails en les visionnant après mon séjour." nous confie le jeune volontaire.
Dès les premières photos, on perçoit la sensibilité du photographe à mettre l'humain au centre de son objectif comme cet homme juif marchant un jour de shabbat au milieu d’une route, entre les rames d’un tram, frontière invisible (datant de 1967) entre deux quartiers palestinien et juif. Ou encore dans cette foule à la porte de Damas, principal accès à l’esplanade des Mosquées et au Mur des lamentations, ces hommes, ces femmes, ces enfants qui se croisent mais ne se rencontrent jamais, souligne Corentin. Le moment le plus marquant pour Corentin fut la célébration du feu sacré lors de la fête orthodoxe de Pâques au Saint Sépulcre. "J'ai vraiment eu la chaire de poule, j'ai senti que j'étais plongé dans une sorte de transe collective et ce fut incroyable de vivre ce moment."
Impressions ... photographiques
Après un long entretien avec Corentin Laurent, on peut dire qu'il a réussi à rendre son vécu personnel, ses impressions sur une ville avec laquelle il a tissé un lien unique. Il admet cependant que l'insécurité, la violence font malheureusement partie du quotidien des habitants et que les moments de tension (sirène, attaque,…) sont fréquents. Il note aussi un climat de suspicion dans lequel il est toujours difficile d'accorder sa confiance à un étranger. Néanmoins, pour Corentin Laurent, Jérusalem est avant tout une "ville qui marque par son histoire, son architecture, sa spiritualité, une ville pleine de surprises quand on veut bien s’y perdre, une ville qui ne peut laisser personne indifférent." Il nous confie encore: "Ce que je retiendrai de Jérusalem, c'est que même quand on voit quelque chose de beau, il y a toujours un élément dans le cadre qui nous rappelle le conflit." Comme pour la photo ci-dessus que nous commente Corentin: "J'assistais à la célébration de Pâques avec des chrétiens. Nous étions en train de faire la procession et les gens proclamaient "Il est ressuscité" tandis que plus bas, les Juifs et les Musulmans s'affrontaient à quelques mètres à peine. Nous pouvions entendre les cris et les détonations. "
Ce qui est remarquable dans l'histoire de Corentin, c'est que Jérusalem est pour lui le point de départ vers d’autres destinations. Éducateur spécialisé de formation travaillant dans les abris de nuit (plus particulièrement en hiver), Corentin dispose de son temps en période estivale pour envisager des voyages parfois lointains. A côté de l'exposition sur Jérusalem, Corentin expose aussi le photo-reportage de son récent voyage en Arménie où il a séjourné pendant un mois. Il envisage à présent de partir en Ethiopie parce qu'il a rencontré une communauté éthiopienne à Jérusalem. Comme un clin d’œil au destin, il choisit désormais ses futures destinations pour leur passé de guerre ou leur présent de conflit.
"Humans - each side story", par Corentin Laurent, à voir au Grand Curtius à Liège jusqu'au 1er avril.
Entrée libre.
Sophie Delhalle