On l’appelle la "Cantatrice savante", le "Frisson mystique" ou la "Ferveur du Chant sacré", mais elle préfère rester modestement "Voix et Foi". Sœur Marie Keyrouz est à Bruxelles samedi prochain pour un concert de gala au profit du Comité de Soutien aux Chrétiens d’Orient.
Saint Basile puis saint Augustin ont affirmé que chanter, c’est prier deux fois. Mais la religieuse maronite libanaise, sœur Marie Keyrouz, ose ajouter une autre dimension au chant sacré qu’elle pratique. "Pour moi, chanter, c’est prier trois fois. Il y a tout d’abord ma propre prière, mon propre dialogue avec Dieu. On ne peut oublier une seconde que l’art n’est qu’un moyen et que sa seule finalité est de sauver dans l’homme l’image de Dieu." Puis elle explique qu’à chaque fois, tout son corps se prépare à faire sonner sa voix au mieux. "Mon esprit se dépouille de toute pensée qui viendrait le distraire de cette prière. Bien faire résonner la voix, voilà la deuxième prière." Enfin, sœur Marie ajoute: "Je peux chanter seule, bien sûr. Mais je chante aussi pour faire prier ceux qui m’écoutent dans la maison de Dieu. Et cela ne concerne pas uniquement les pratiquants." De fait, avec sa musique, Marie Keyrouz rassemble tout public, même éloigné de l’Eglise. En 1984, sous les bombes de la guerre au Liban, elle a d’ailleurs fondé son ‘Ensemble de la Paix’ avec des musiciens de différentes religions et cultures, illustrant ainsi son désir de paix, de tolérance, d’universalité, d’œcuménisme et d’harmonie entre les peuples.
"Le chant sacré que j’essaie de servir me fait prier. Il me fait résonner, si je prépare mon corps comme il convient, avec toute ma technique et toute ma sincérité. Comme je résonne de tout mon corps, je vais faire résonner ceux qui m’écoutent. Si je ne passe pas par le premier stade, je n’atteindrai pas le deuxième et si je ne parviens pas au deuxième, le troisième me sera hors de portée. Je décide de chanter le sacré? Alors je dois décider de prier trois fois."
Combinaison "impossible"
Sœur Marie Keyrouz est née dans la plaine de la Bekaa au nord-est du Liban. Sa petite ville natale de Deir el-Ahmar était essentiellement maronite, la plus grande communauté chrétienne du pays qui vit en entière communion avec Rome. Mais depuis son plus jeune âge, elle a été attirée par les autres rites chrétiens et traditions religieuses. Un jour à Beyrouth avec ses parents, la fillette de cinq ans s’est égarée et a été retrouvée dans une église byzantine. "Je croyais que le chant byzantin était la façon dont on chantait dans la capitale!"
Si elle a toujours eu deux vocations dans son cœur - celle de devenir religieuse et celle pour le chant sacré - la combinaison des deux n’a pas toujours été évidente, surtout pas pour une femme religieuse dans le contexte du Moyen-Orient. "C’est ma foi qui m’a préservée des tentations du vedettariat", dit-elle. "La musique sacrée porte un message fort, rassembleur et d’une profonde vérité humaine. Quand je chante, je le ressens comme un moment de grâce que je peux partager avec des gens liés par la seule image de Dieu, une image qui est belle, qui est entièrement Amour."
La combinaison du chant oriental et occidental n’était pas plus évidente. Au conservatoire classique, alors qu’elle avait à peine treize ans, la jeune Keyrouz ne pouvait pas dire ouvertement qu’elle pratiquait aussi la musique orientale, car les deux mondes étaient censés être incompatibles. "Ce n’est qu’au moment d’un rappel, quand j’avais déjà reçu ma cote, que j’ai osé entonner un chant en arabe." Il est vrai que la manière de chanter est totalement différente entre les deux traditions.
Engagement social
Sœur Marie Keyrouz n’a jamais été que cantatrice. Depuis un quart de siècle, elle anime l’association Enfants pour la Paix. "Je suis profondément convaincue que la pauvreté et l’ignorance sont à la base des fractures sociales et des guerres", dit-elle. "Il est inacceptable que plus de trente millions d’enfants au Moyen-Orient soient abandonnés dans la rue, qu’ils soient livrés aux réseaux de la drogue, de la prostitution, ou à ceux de la criminalité et du terrorisme, qu’ils soient torturés ou exécutés tandis que d’autres sont enrôlés de force pour faire la guerre des adultes."
La situation au Liban où les réfugiés représentent désormais près de la moitié de la population, est intenable d’après le cardinal maronite Bechara Boutros Raï. Sœur Marie soutient l’appel à l’alarme de son Patriarche: "Le Liban a toujours été une oasis pour les plus démunis, mais si son cœur est grand, ses mains sont petites. Le bon accueil n’a jamais comblé un besoin matériel et la stabilité d’un peuple n’est acquise que quand il retourne chez lui, à sa terre, à sa culture et à ses racines."
Dans cet Orient, berceau du christianisme, "les chrétiens demeurent la lumière malgré toutes les persécutions", dit encore sœur Marie Keyrouz. "Le mal nous envahit comme un dragon mais, unis entre nous, nous avons la force pour le vaincre. C’est pourquoi je suis là avec le Comité de soutien aux Chrétiens d’Orient. Je n’ai que ma foi et ma voix pour dire à ceux qui sont dans la détresse que malgré tout, ils ont un Père dans le ciel qui est Amour et Tout-Puissant. Après la crucifixion, il y a une résurrection. N’ayons pas peur".
Benoit LANNOO
En concert le 28 octobre à Bruxelles
Sœur Marie Keyrouz sera à la Basilique de Koekelberg le samedi 28 octobre 2017 à 20 heures, accompagnée de son Ensemble de la Paix. Au programme, du chant sacré en araméen, en arabe et en latin (notamment l'Ave Maria).
Les bénéfices de la soirée sont destinés à un projet de construction d’un centre d’écoute, d’activités et d’apprentissage des métiers destiné aux femmes et aux filles d'Irak victimes d’extrêmes violences commises par les djihadistes.
Le Comité de Soutien aux Chrétiens d’Orient regroupe l’Eglise latine et les Eglises orientales présentes en Belgique (Copte Orthodoxe, Arménienne Orthodoxe, Assyrienne, Syriaque Orthodoxe, Syriaque Catholique, Chaldéenne, Melkite et Maronite). Il a été créé six mois avant les événements tragiques et l’exode des chrétiens et des Yazidis de Mossoul en juin 2014.