Financier de formation et musicien de profession, Gaël Faye explore avec fascination les premières années, celles de l’enfance. Né au Burundi, d’un père français et d’une mère rwandaise, il a lui-même connu l’exil après le génocide de 1994.
Tout comme Gabriel, le héros et narrateur du roman « Petit pays », les racines de ce jeune auteur talentueux sont ancrées en Afrique. Pourtant, son récit n’est pas autobiographique, même s’il plonge avec sincérité dans les affres d’une réalité manifestement vécue. Et c’est là la force de son écriture: rendre vivants les morts et les mutilés, à travers le regard innocent d’un enfant démuni face à la violence des adultes.
Ce roman est avant tout celui d’une séparation, mise en abyme de l’éclatement d’un pays, du déchirement à venir entre les ethnies. « Ils n’avaient pas partagé leurs rêves, simplement leurs illusions », observe le fils aîné. Entre les parents, l’abîme grandit: « Quand tu vois la douceur des collines, je sais la misère de ceux qui les peuplent ». Le goût amer de l’exil a laissé une trace féroce dans la mémoire maternelle, loin des plaisirs ordinaires du père. « Ici, nous sommes des privilégiés. Là-bas, nous ne serons personne », assène pourtant l’Européen, convaincu que le bonheur se trouve au milieu des richesses africaines plutôt que dans les métropoles ou les campagnes françaises. Lucide, Gabriel a déjà compris la subjectivité des états d’âme. Il l’écrit d’emblée à sa correspondante épistolière: « Chacun voit le monde à travers la couleur de ses yeux. Comme tu as les yeux verts, pour toi, je serai vert ». A travers l’histoire de cette famille en décomposition, c’est le sort universel des exilés qui est abordé. « Mamie en voulait à Maman de ne pas nous parler kinyarwanda, elle disait que cette langue nous permettrait de garder notre identité malgré l’exil, sinon nous ne deviendrions jamais de bons Banyarwandas, ‘ceux qui viennent du Rwanda’. Maman se fichait de ces arguments, pour elle nous étions des petits blancs, à la peau légèrement caramel, mais blancs quand même. »
Lorsque la peur surgit
Cinq amis unis comme les doigts de la main, des petits voisins qui font les 400 coups dans l’impasse et ses environs immédiats, l’image des garnements est charmante, jusqu’à ce que le quartier se mure en forteresse et que l’impasse ne devienne « un enclos ». Les enfants ont compris la définition du racisme, qui conduit à privilégier la vie des animaux sur celle des humains. La guerre des adultes a envahi leurs terrains de jeux. Malgré ses précautions, le père de Gabriel n’a pu éloigner sa progéniture des affres de la politique. « La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais », observe Gabriel. Hutu ou Tutsi, le choix s’impose et le conflit avec lui. Pourtant, une voix s’échappe et murmure un chant d’espérance en la personne de Donatien, un Zaïrois au cœur pur qui persiste à s’émerveiller « de la beauté des choses, même sous un ciel tortionnaire ».
Angélique TASIAUX
Gaël FAYE, « Petit pays ». Grasset, août 2016, 224 p.