On les appelle les mutilations génitales féminines (MGF). Contrairement à une idée reçue, nombre de femmes en sont encore les victimes. Certaines sont consentantes, d’autres pas. Marie-Sophie Thiry a mené un travail précis et rigoureux sur ce sujet sensible.
L’Organisation Mondiale de la Santé s’est clairement positionnée en défaveur des MGF, estimant qu’elles « ne présentent aucun avantage pour la santé et sont préjudiciables à bien des égards aux jeunes filles et aux femmes ». En outre, l’ablation ou l’endommagement des tissus génitaux a pour conséquence d’entraver « le fonctionnement naturel de l’organisme féminin », avec « des conséquences immédiates et durables sur la santé ».
Une typologie récurrente
Plus les mères sont instruites, moins elles se positionnent en faveur des MGF. A l’inverse, moins les pères sont éduqués et plus ils sont enclins à la continuation de cette pratique. De même, les habitants des régions rurales perpétuent davantage les MGF que les citadins. Les mutilations touchent également toutes les classes sociales. Par ailleurs, le poids des traditions et la mainmise de la famille dans les décisions d’éducation se poursuivent, même hors des frontières nationales. Ainsi, des jeunes filles résidant en Belgique sont-elles régulièrement envoyées en Afrique pendant les vacances scolaires, afin qu’une MGF puisse y être pratiquée.
L’argument religieux
Pratiquée depuis la nuit des temps, l’excision aurait été connue, selon certains, des pharaons. « Invoquée parfois au nom de la religion, cette coutume ne se retrouve ni dans le Coran ni dans la Bible. Elle pourrait peut-être être mise en relation avec la circoncision masculine, qui, elle, est présente dans les textes religieux. Une mauvaise compréhension de ceux-ci, ou une mauvaise interprétation, pourrait aussi être à l’origine de l’ancrage religieux des MGF », observe Marie-Sophie Thiry. « Il n’y a aucune preuve que les textes religieux favorisent explicitement l’excision. On peut émettre l’hypothèse que certaines communautés fondent leur pratique sur une vision biaisée de la religion. » Et la psychologue de poursuivre: « La multiplicité et la disparité des populations qui exécutent l’excision ont pour effet que les explications culturelles ou traditionnelles sont très variées. » Ce qui semble néanmoins établi, c’est le rôle crucial de l’excision, considérée comme une étape majeure dans le développement féminin. Il s’agit dès lors d’un rite de passage « nécessaire à l’élévation de la position de la femme; ainsi, elle peut prendre époux et son honneur est sauf. L’excision donne un statut d’adulte à ces jeunes filles qui sont désormais consacrées comme femmes et futures mères. (…) Les rites de passage sont une des explications que l’on peut rattacher aux croyances traditionnelles, car ces rites ne sont pas fondés sur une croyance religieuse formelle, mais dépendent davantage de coutumes sociales. » En conséquence, « les ethnies et croyances d’un peuple influent sur le type de pratique ». Parmi les arguments avancés en guise de prétendus bienfaits garants d’une certaine conception de la morale féminine, on retrouve la virginité prénuptiale et la fidélité conjugale.
Des manquements sanitaires
A côté de l’impact moral, force est de constater combien l’hygiène est déficiente dans la pratique ordinaire des interventions chirurgicales. « Peu de MGF ont lieu à l’hôpital ou sous surveillance de médecins, car la pratique est devenue interdite presque partout et sanctionnée d’une peine pénale », observe Marie-Sophie, qui précise encore que « le matériel utilisé n’est pas stérilisé et souvent réutilisé ». Lames de rasoir, épines d’arbustes, canifs et paires de ciseaux, morceaux de verre, les instruments sont à la mesure des ressources des opérants… Sujet sensible, le fait des mutilations réunit l’intérêt croisé des chercheurs spécialisés en anthropologie, en sociologie, en psychologie, en histoire… C’est dire s’il sera encore décrypté dans les années à venir depuis des institutions occidentales renommées.
Angélique TASIAUX
L’identité féminine en question
Après un volontariat au Sénégal, Marie-Sophie s’est rendue en Inde pour un second volontariat où elle a découvert une autre réalité. Lorsque les sujets de mémoire sont proposés pendant ses études en faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation à l’UCL, Marie-Sophie ne se retrouve dans aucun des thèmes suggérés. Interpellée par l’excision, elle se lance alors dans une recherche peu commune. Son mobile est de comprendre, coûte que coûte, « le développement identitaire des femmes » qui ont subi une MGF.
Des témoignages édifiants
D’abord au Burkina Faso, puis au Mali, l’étudiante prend, une nouvelle fois, la mesure d’un état de fait qui perdure malgré une interdiction pénale instaurée il y a 20 ans au Burkina Faso. En interrogeant un comité d’hommes dans un village là-bas, elle réalise qu’ils soutiennent la pratique de l’excision « sans aucune gêne, aucune. C’est pénalement puni, mais la tradition se perpétue. Il y a une certaine banalisation et une normalisation du phénomène. » En cachette, une femme va pourtant lui confier l’énorme souffrance qui l’habite. « Il y avait une ambivalence entre ce qu’elle vivait intérieurement et la face qu’elle devait montrer extérieurement. » Car cette témoin discrète vivait en vase clos, dans un village coupé du monde, où il lui était impossible d’exprimer un point de vue différent, tant la pression sociale du groupe était grande. Le travail de Marie-Sophie ne s’arrête toutefois pas à la réalité africaine; il envisage également le point de vue de femmes qui ont fui leur pays natal après avoir elles-mêmes subi une MGF ou pour échapper à la perpétuation de cette pratique sur leur propre descendance. « Cette forme de révolte leur permet de se construire autrement », assure Marie-Sophie, qui poursuit: « La souffrance des femmes va dépendre de leur positionnement vis-à-vis de l’excision. Les femmes qui s’insurgent contre une telle pratique percevront les méfaits, les douleurs et les conséquences physiques, voire psychologiques, rattachées à cet acte barbare qu’est l’ablation d’une partie des organes génitaux, et elles l’éprouveront comme tel. Tandis que, du côté des femmes promouvant l’excision, elles sont ancrées dans un système de croyances favorables à sa pérennisation au travers des générations. Elles voient les conséquences, attribuées par les spécialistes et scientifiques à l’excision stricto sensu, comme le reflet de causes multiples, ne pouvant pas être rattachées à cette pratique, puisqu’elles la considèrent comme bénéfique. » Au terme de cette recherche, la jeune Namuroise reconnaît toutefois ne plus être « dans le jugement ni dans la colère ». Travaillant à présent dans le secteur de l’immigration, elle est apte à « entendre tous les discours » et se sent davantage « ouverte sur le monde », ce qui ne l’empêche pas d’être quelquefois bouleversée par les témoignages recueillis.
A. T.