Cette année, la lecture des noms des victimes de la Shoah au Mémorial d'Anderlecht a inclus pour la première fois les "Belges de Drancy". Parmi ces juifs déportés, la cérémonie du 19 avril a permis d'entendre le témoignage d'un rescapé, Marka Syfer, président de l’association "L’Enfant caché".
Le Comité du «Yom HaShoah» belge a commémoré, mardi dernier, les 24.036 Juifs déportés de Belgique vers les camps d’extermination et qui n’en sont pas revenus ainsi que des 245 résistants juifs belges morts pendant la Seconde Guerre mondiale. La cérémonie se fait chaque année au «Mémorial des martyrs juifs» à Anderlecht (cf photo) vers le 19 avril, date anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie et de l’arrêt du 20e convoi de déportés juifs de la Caserne Dossin à Malines vers Auschwitz.
Drancy près de Paris était l’équivalent de la Caserne Dossin. Herman Van Goethem, ancien conservateur de la Caserne Dossin devenu entretemps recteur de l’Université d’Anvers, a démontré l’année dernière que 5.908 réfugiés juifs de Belgique ont transité à Drancy avant d’être, eux aussi, envoyés à Auschwitz; seuls 315 en sont revenus. "Nous avions quitté Anvers et la Belgique et nous étions, avec des dizaines de milliers de Belges, jetés sur les routes de l’exode dès l’invasion par les Nazis, comme le sont aujourd’hui les si malheureux Syriens, appelés ‘migrants’", dit Marka Syfer, dont la maman, transitée par Drancy, n’est jamais revenue.
Des hommes transformés en être cruels
Le témoignage de Marka Syfer lors de la cérémonie du «Yom HaShoah» à Anderlecht de mardi passé était poignant. Ayant pris la route à sept ans en mai 1940 pour le sud de la France, ensemble avec entre autres sa mère, la liberté fut de courte durée. «En octobre 1940, maman et moi fûmes emmenés par les gendarmes de Vichy vers Rivesaltes, un camp de concentration proche de Perpignan. Malgré mon grand âge d’aujourd’hui, je n’ai jamais compris comment des hommes apparemment normaux, ayant famille, aimant sûrement leurs enfants et peut-être même leur chien, pouvaient se transformer, comme gardiens, en de tels monstres cruels, aussi dépourvu d’humanité.»
En février 1942, avec l’aide de «l’Organisation de Secours à l’Enfance» (OSE), la sœur de Marka Syfer qui était en zone libre, a organisé son «évasion», avec l'aide de sa maman, en profitant du fait que les petits enfants pouvaient souvent sortir du camp pour jouer aux alentours, «les gardiens sachant bien que nous retournerions chez papa ou maman». Malheureusement, à un jour près, sa maman a manqué d'être libérée de ce camp de concentration. «Libérée de Rivesaltes le 13 août 1942, maman avait été transférée la veille vers Drancy d’où elle est partie par le 19e convoi, le 14 août pour arriver à Auschwitz le 17, dernier jour de sa vie; elle aurait eu 48 ans le 25 août 1942.»
Deux Justes parmi les nations
Marka Syfer a passé son «enfance cachée» dans un hameau perdu au fin fond du Puy-de-Dôme. «Les paysans qui m’ont caché et sauvé, Marie et Marius Pillière, ont été honorés, le 8 mai 2000, du titre de ‘Juste parmi les Nations’ par le musée Yad Vachem de Jérusalem. J’ose dire que les deux années et demie passées chez eux furent les plus belles de mon enfance, bien que l’absence de ma maman et de mes grands frère et sœur était pour moi une souffrance, qu’il me fallait cacher dans un mensonge permanent avec l’interdiction absolue de dire que j’étais juif, que je venais de Belgique, que mon nom de famille était transformé, qu’avant la guerre je ne parlais que le flamand, que j’avais séjourné dans un camp de concentration… et que je me prénommait au fond David.»
Benoit Lannoo - photo: Marka Syfer, nouveau président de l’association "L’Enfant caché” ©DR