Témoignage d’une rescapée d’Auschwitz: “Quatre bouts de pain”


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Témoignage d’une rescapée d’Auschwitz: “Quatre bouts de pain”
Par Anne-Françoise de Beaudrap
Publié le - Modifié le
3 min

L'homme est capable du pire, mais c'est au meilleur qu'appelle Magda Hollander-Lafon, c'est-à-dire à la joie. Une joie spirituelle ravie à la désespérance, volée à l'enfer qui a failli l'engloutir, alors qu'elle n'avait que 16 ans.

Quatre petits bouts de pain

Magda Hollander-Lafon a été plongée dans un monde de ténèbres, alors qu'elle n'avait que 16 ans. Juive hongroise, elle a effectivement été déportée à Auschwitz-Birkenau avec sa mère et sa sœur, qui y ont péri quelques jours après leur arrivée. Une traversée de l'innommable, dont elle a réussi à sortir vivante, mais pas indemne. Après la Libération, la jeune fille va d'ailleurs s'enfermer dans le silence, taraudée par une terrible culpabilité. Elle ne peut se pardonner d’être vivante ("Pourquoi moi et pas les autres, qui me valaient mille fois?"), de n’avoir pu dire au revoir et demander pardon aux siens…

Ce n'est qu'en 1977, en sortant d'une hospitalisation, qu'elle a commencé à "percer le mur épais" de sa mémoire, qui était jusque-là comme morcelée. "Pour la première fois, j'ai éprouvé ce jour-là de la compassion à mon égard", raconte-t-elle. "La rencontre de ce moi meurtri m'a libérée de l'esclavage intérieur, et le chemin vers moi-même a commencé." Un chemin de pacification intérieure, qu'elle a accompli pour elle-même, bien sûr, mais aussi au nom de toutes celles et tous ceux qui ne sont pas revenus des camps. "Si, aujourd'hui, je traverse courbaturée le pont de ma mémoire", écrit-elle, "c'est pour que vive longtemps le souvenir de celles et de ceux à qui l'on a volé leur vie et qui, jusqu'au bout, ont voulu nous donner le courage de vivre."

"Aujourd'hui, je ne me sens pas victime de la Shoah, mais un témoin réconcilié en moi-même"

Magda Hollander-Lafon inaugure donc avec son dernier livre un temps nouveau, qui transcende la mémoire de mort de la Shoah pour que la mort n'ait pas le dernier mot, pour que le crime ne tue pas deux fois les êtres qui ont péri et ne laisse pas prisonniers d'une mémoire mortifère ceux qui ont survécu. "Quatre petits bouts de pain" est effectivement une méditation sur la vie, nourrie en partie des rencontres qu'elle a eu avec des dizaines de milliers de jeunes lycéens et collégiens français. "J'ai compris que je ne pouvais appeler personne dans le meilleur de lui-même sans être moi-même libérée de mes propres blessures, de mes peurs, de ma violence. Alors, seulement, je peux accueillir l'autre là où il est."

Magda Hollander-LafonCe témoignage est aussi celui d'une femme de foi, convertie au christianisme tout en restant proche de ses racines juives, qui sait que si l'être humain est capable du pire, il peut aussi se montrer capable du meilleur. "Les nuages cachent souvent le soleil, mais nous savons qu'il est là et n'attend que de se lever dans nos cœurs", écrit-elle. Plongée au cœur de l'horreur, elle a effectivement été témoin de gestes d'une réconfortante humanité, sans lesquels elle ne serait sans doute plus là aujourd'hui: les quatre petits bouts de pain donnés à l'adolescente par une femme en train de mourir, la paire de galoches offerte par un gardien compatissant en plein cœur de l'hiver, ou encore la "dame au sourire" qui l'a recueillie à sa sortie de l'univers concentrationnaire et l'a soutenue financièrement dans ses projets.

"Nos actes nous engagent", écrit-elle à la fin du livre. "Il dépend de chacun de choisir d'être humain ou d'humilier, de devenir violent ou de pacifier. Il dépend de chacun de dire, de redire, que la vie est sacrée et unique, que c'est la solidarité et la mémoire qui peuvent sauver l'humanité."

 

Pascal ANDRÉ

"Quatre petits bout de pain – Des ténèbres à la joie", Magda Hollander-Lafon, Albin Michel, 154 pages

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Catégorie : Culture

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