Ne pas laisser le mal se dissoudre dans l’habitude


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Ne pas laisser le mal se dissoudre dans l’habitude
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
2 min

Editorial de Pascal André, publié dans "Dimanche Express" n°43 du 9 décembre 2012 :

Qui pourrait nier que plus le conflit syrien s'enlise, plus notre intérêt pour ce qui se passe dans ce pays s'amenuise? C'est triste et même honteux, mais c'est ainsi: nous nous habituons à tout, y compris à l'horreur. La redondance des nouvelles, l'effet de répétition finissent en effet toujours par émousser notre curiosité, notre capacité d'écoute. Au début, pourtant, nous étions indignés par les exactions commises par le régime de Bachar el-Assad; nous nous sentions solidaires des rebelles; nous nous inquiétions pour toutes ces familles parties chercher refuge en Turquie, au Liban ou ailleurs. Et puis, peu à peu, nous nous sommes "habitués" à ce qui, hier encore, nous semblait inacceptable: ces exodes pathétiques, ces trottoirs maculés de sang, ces survivants hagards, ces femmes pleurant leurs morts…

Ce constat, malheureusement, n'est pas propre au conflit syrien. Il en est pratiquement toujours ainsi. Qu'il s'agisse d'une guerre, d'une catastrophe naturelle, d'une révolution ou de troubles sociaux, notre intérêt finit toujours par s'émousser, surtout si cela a lieu loin de chez nous. Face aux événements du monde, nous nous comportons en effet comme des consommateurs en quête permanente de nouveauté. S'il n'y a pas rebondissements ou de renversements de situation, nous zappons, sûrs de trouver sur une autre chaîne de quoi satisfaire notre curiosité.

Ainsi, recevons-nous en pleine figure cette vérité que personne n'aime regarder en face: le mal, le crime, la mort finissent toujours par se dissoudre dans l'habitude. Les reporters le savent d'ailleurs mieux que quiconque: la longueur de leurs papiers ne cesse d'aller en diminuant au fil du temps, même si, sur place, l'horreur n'a pas baissé en intensité et si la souffrance des victimes est toujours aussi insoutenable.

Le plus incroyable dans tout cela, c'est que, dans quelques années, nous nous étonnerons sans doute d'être restés indifférents face à toute cette souffrance. Quoi? Les gens ont laissé faire? Personne n'a réagi? Oui, et il en a toujours été ainsi. C'est d'ailleurs parce que la grande majorité des gens se sont désintéressés du sort des Juifs que les nazis ont pu poursuivre tranquillement leur entreprise de mort, pendant des mois et des mois. Avec le recul, ce crime de non-assistance nous paraît bien sûr intolérable, mais c'est pourtant ce qui risque de se passer aujourd'hui encore, si nous nous laissons envahir par la même torpeur indifférente.

Catégorie : En dialogue

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